Les réverbères : arts vivants

Am Stram Gram met le cap sur la Finlande !

Tervetuloa Suomeen ! Ou plutôt : bienvenue en Finlande ! Du 17 au 26 janvier, le Théâtre Am Stram Gram accueillait le Collectif MAD et le Galapiat Cirque. Au programme ? Un spectacle aussi poétique qu’hilarant, entre Grand Nord fantasmé, performances physiques et autodérision. Du grand art, avec Mad in Finland !

Ce weekend, j’ai quitté la Suisse pour m’envoler… vers la Finlande ! Et le tout, sans quitter Genève, s’il vous plaît. Tout a commencé dans le hall d’accueil du Théâtre Am Stram Gram, avec une billetterie transformée en zone douanière entre sols helvétiques et finlandais, grâce à des panneaux remplis d’humour. Dans la file d’attente, ça parle volontiers finnois : « Vous êtes à Genève depuis quand ? », « Pour une fois qu’il y a un spectacle finlandais au programme, j’ai sauté sur l’occasion ! », « Ma famille habite à Helsinki, j’y suis retournée pendant les fêtes », « Moi, j’ai passé deux ans en Finlande, pour mes études »… les anecdotes s’échangent avec bonne humeur.

Soudain, la foule se presse. Pulls en tricot coloré, tresses longues et grands sourires, les huit artistes du Galapiat Cirque nous font signe. Pas besoin de parler finois pour comprendre : nous avons rendez-vous au sauna, à l’extérieur du théâtre.

Population : 5,5 millions / Saunas : 2,2 millions

Grimpant quatre à quatre les escaliers extérieurs, nous arrivons sur la terrasse qui compose le toit du théâtre. Là, une caravane rutilante de métal nous attend. Transformée en sauna cosy, sa cheminée fume. Au-dessus, les grands pins se balancent dans le vent de janvier, tandis que la fin du jour commence timidement à tomber. Il n’en faut pas plus pour nous faire voyager… ce n’est pas encore la longue nuit polaire, mais on s’y croirait presque ! Tandis qu’on nous explique le déroulement du spectacle, on nous remet flyer présentant les huit membres de la troupe : Elice Abonce Muhonen, Milla Lahtinen, Mirja Jauhiainen, Jenni Kallo, Nelli Kujansivu, Heini Koskinen, Sanja Kosonen et Teija Sotikoff. Pour les non-bilingues (dont moi !), le fascicule va se révéler précieux, car il contient un petit dictionnaire français / finois… sans oublier quelques informations utiles sur le pays que nous allons visiter ce soir.

Parmi les éléments à retenir ? La nuit polaire, qui tombe en octobre, dure 52 jours ; le silence est considéré par les Finnois·e·s comme une part importante de la communication… et la Finlande a été le premier pays en Europe où les femmes ont obtenu le droit de vote (en 1906) ! De quoi déjà nous plonger dans l’ambiance qui va suivre.

Du brasero…

Laissant le sauna derrière nous, nous prenons place dans le théâtre. Enfin, les lumières de la salle s’éteignent – pour laisser place à celle d’un brasero. Autour, les huit femmes sont réunies. Elles chantent, à plusieurs voix. On croirait entendre le craquement des aiguilles de sapins sous le givre, la buée glacée qui s’échappe d’entre les lèvres, le miroitement lointain des étoiles dans une nuit qui n’en finit pas… mais très vite, l’ambiance poétique laisse place aux rires, tandis que le tableau suivant nous entraîne dans une cabane au milieu des bois. Là, deux chasseuses (ou chasseurs ? les genres se mêlent, incertains) passent l’hiver en bondissant après des troupeaux de rennes (poro, en finois), en buvant de la salmiakkikossu (vodka à la réglisse) à grand renfort de Kippis ! (« Santé ! »). Dans ce duo, Jenni Kallo incarne l’auguste, ce clown maladroit et impertinent qui fait rire à grand-renfort d’exagération. Nelli Kujansivu, elle, est la voix de la raison : son numéro d’antipodisme[1] avec des ballons plus blancs que la neige laisse sa partenaire pantoise, la bouteille à la main…

Car Mad in Finland, qui fascine les publics depuis plus de dix ans de tournée, n’est pas un spectacle comme les autres : pour raconter cette Finlande imaginaire, entre réalités et clichés, il s’appuie sur les arts circassiens. Trapèze, jonglerie, fil, acrobatie au tissu… les artistes du Galapiat Cirque nous entraînent dans un tourbillon de numéros, qui s’entremêlent avec des moments de pause où la poésie prend place dans le silence – et les flocons de neige (en papier) qui tourbillonnent sur scène. Parmi les numéros les plus impressionnants, on peut signaler les performances d’Elice Abonce Muhonen (à la suspension par les cheveux), de Heini Koskinen (acrobate sur tissu) et de Sanja Kosonen (danse sur fil) : des moments à couper le souffle, où la pesanteur semble perdre ses droits…

… au tango (en passant par le metal) !

Autre caractéristique de Mad in Finland : la capacité à nous montrer, en très peu de temps, les facettes extrêmement contrastées d’un même pays, d’une même culture. D’une scène à l’autre, on (re)découvre ainsi que Nokia est une entreprise finlandaise (et on apprend que les vieux téléphones font d’excellentes pucks pour hockey sur glace !). On rit à gorge déployée en écoutant le commentaire d’une compétition de trapèze en duo, entrant par la même occasion dans le monde des fans de sports finlandais·e·s. On dégomme des bûches, on enfile des skis… et on assiste à un bal populaire, où les femmes attendent désespérément de se faire inviter par un homme pour danser le tango ! Autant dire que, quand c’est à leur tour d’inviter (naistenhaku : le moment où les femmes invitent les hommes), elles ne se privent pas d’aller chercher des partenaires dans le public…

Ce tableau est d’ailleurs l’occasion de relever une des forces de Mad in Finland : la polyvalence des artistes, qui sont à la fois des circassiennes accomplies… et de remarquables musiciennes ! Violon, violoncelle, basse, batterie, chant, guitare, piano, flûte – les musiques s’enchaînent, traditionnelles ou franchement hard, pour le plus grand plaisir du public finnois qui n’hésite pas à chanter en chœur.

Et bien sûr, après une séance de bûcheronnage hilarante pour préparer du petit bois, tout finit… dans un sauna ! Voilà de quoi nous donner envie de voyager. Alors, on y va quand, en Finlande ?

Magali Bossi

Infos pratiques :

Mad in Finland, création collective du Collectif MAD et du Galapiat Cirque, du 17 au 26 janvier 2025 au Théâtre Am Stram Gram.

Avec (en création collective) Elice Abonce Muhonen | Milla Lahtinen (trapèze ballant, chant), Mirja Jauhiainen (trapèze, violoncelle, basse électrique, chant), Jenni Kallo (clown, batterie, chant), Nelli Kujansivu (antipodisme, batterie, chant), Heini Koskinen (tissu, violon, chant), Sanja Kosonen (fil, guitare, chant), Teija Sotikoff (chant, piano, flûte)

https://www.amstramgram.ch/fr/programme/mad-in-finland

Photo : © Magali Bossi

[1] C’est-à-dire de jonglage avec les pieds.

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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