Les réverbères : arts vivants

Animer ou allumer l’ordi

Les Mac subissent-ils notre multitasking ? Un saut par ci, un saut par-là… Les habitants du fond d’écran Apple sont sans cesse à l’affût du moindre clic de souris. Dans Bad Translation, présenté à Saint-Gervais dans le cadre de la Bâtie, l’écran prend vie. 

J’appelle, j’envoie le mail, je twitte, je poste, je drague, je checke, j’achète en une minute et… quelques secondes. Il y a, dans le multitasking, un désir fort de gestion simultanée, de contrôle de tout ce qui peut être amené à fonctionner autour de nous. Et la liste s’allonge sans relâche. Cette suite frénétique d’activités virtuelles est le quotidien d’êtres animés – bien en chair mais dans ce monde sous-les-écrans – , acharnés dans le déplacement d’icônes et l’ouverture de dossiers, si réactifs qu’ils nous semblent invisibles. Et Cris Blanco sait que sans eux, l’écran serait bien pauvre.

On aurait en effet pu croire que nos vies informatiques n’en touchaient aucune autre. C’est ainsi que l’on apprend, avec étonnement, que nos clics obligent l’équipe de Cris Blanco à courir à tout va, à tourner vite ou à s’affaler dans une pirouette gracieuse juste pour garantir que les logiciels – bientôt ouverts – rebondissent élégamment, comme on a l’habitude de les voir sur Mac. L’idée d’animer l’ordi est vraiment bluffante.

Tout se passe sur scène en direct, comme si l’on faisait partie de ce monde au fond d’écran si proche pour une fois.  Une caméra mobile retransmet en instantané la partie restreinte de cet univers : Une femme en détresse qui combat son détraqueur. Les décors, les pics de jalousie qui émergent lorsqu’il s’agit de désigner quelqu’un pour assurer un rôle peu excitant, les perruques qui tombent, restent inconnus aux yeux de la plupart. Les pages internet, constituées de carton-pâte, se font piquer par des perches – on ouvre, on ferme ainsi la page – puis elles se voient pousser d’un endroit à l’autre du fond d’écran, pour disparaître jusqu’à la prochaine concrétisation de communication virtuelle. Les bruits, quant à eux, s’échappent des micros qu’il ne faudra jamais laisser seuls plus de quelques respirations.

Et tout à coup, irruption du stress auprès du cliqueur ou de la cliqueuse, un stress qui coince les trapèzes et glace la mâchoire : la personne a posté une mauvaise traduction d’un poème et s’attire les foudres de sa communauté Web. L’équipe informatique subit de plein fouet les changements rapides de fenêtres, l’impatience soudaine de vouloir écouter de la musique tout en lisant les interrogations des amis curieux du moindre web-flop. Tous s’éparpillent, comme les cliqueurs d’ailleurs qui, souvent, se font happer par l’écran et laissent leur souhait premier disparaître dans la valse des programmes à télécharger.

Face à ses retournements, la batterie s’affaiblit. L’équipe est en proie à un moment de panique d’autant qu’il faut encore apprendre à la petite nouvelle les trucs et astuces pour donner une belle tonalité au moment du démarrage et ne pas se perdre dans la pièce des téléchargements, souvent peu ordonnée.

Mais on se sent, au fur et à mesure, plutôt pris au piège de ce monde de façades où rien n’est plus authentique, même lorsqu’on le pensait que notre star favorite posait vraiment devient la caméra. Il n’y a plus qu’un pas vers le cyberminimalisme…

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Bad translation de Cris Blanco du 01 au 04 septembre au Théâtre Saint-Gervais.

Avec : Amaranta Velarde, Javier Cruz, Cris Celada, Cris Blanco et Óscar Bueno Rodríguez

Photos : © Cris Blanco

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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