Après le Chaos renaît l’espoir des Cœurs battants
Nous avions laissé les personnages de Chaos dans une grande violence, mais avec un message d’espoir. Cœurs battants les retrouve des années plus tard, dans le deuxième opus de l’épopée imaginée par Valentine Sergo. À voir à l’Orangerie jusqu’au 3 septembre.
Après ses études de médecine, Nour (Anne-Shlomit Deonna) est désormais cardiologue. Elle espère même intégrer un programme universitaire de chirurgie cardiaque. Malheureusement, elle n’a pas réussi à retrouver sa mère Hayat (Nasma Moutaouakil) en Europe, cette dernière ayant coupé tous les ponts avec son passé – même avec sa langue maternelle – après la mort de son frère Amir (Adrien Zumthor). C’est donc autour de Nour que se concentre le deuxième épisode de cette trilogie, et la rencontre de celle-ci avec Joran (Djemi Pittet Sané), un brillant étudiant. Ensemble, iels veulent rejoindre une communauté qui vit dans une forêt, à la recherche d’une nouvelle façon de vivre, plus harmonieuse et respectueuse du vivant. Une vision qui fait sens alors que les catastrophes s’enchaînent : explosion d’une usine, grèves successives de la fonction publique qui n’en peut plus de ses conditions de travail, nature qui se meurt… Les Cœurs battants que sont Nour, Joran et la petite Sophie (Bénédicte Amslet Denogent) qui les accompagnera résonnent comme un véritable îlot d’espoir dans un monde qui part à vau-l’eau.
Un spectacle rythmé et admirablement construit
Sur la scène presque nue de l’Orangerie, les courtes scènes s’enchaînent, et avec elles les changements de costumes qui avaient déjà fait le succès de Chaos. Chaque comédien·ne incarne ainsi une foule de personnages qui gravitent autour des principaux protagonistes : médecins, infirmiers, membres de la communauté rencontrent ainsi Nour, Hayat et son mari Franck (Wissam Arbache), la petite Sophie et sa mère… Les chaises sont amenées, déplacées ou enlevées pour figurer tour à tour l’intérieur d’un cabinet à l’hôpital, le salon de Hayat et Franck, ou encore la chambre de Sophie, avec ses trois peluches favorites. Le récit peut ainsi paraître, durant la première du spectacle, quelque peu décousu. On suit d’un côté Nour, ses patients, sa rencontre avec Joran et la recherche désespérée de sa mère, alors qu’elle découvre enfin la vérité sur son père. On en apprend aussi davantage sur Joran, ses origines antillaises et son rôle dans la communauté vivant en forêt. En parallèle de cela, on entrevoit la vie de Hayat, qui vieillit avec Franck et dont la santé se détériore. Quant à Sophie, souffrant d’une maladie cardiaque, elle est délaissée par sa mère, et se réfugie dans sa relation avec ses peluches et un jeune figuier qu’elle a trouvé dans une poubelle.
Une fois ces bribes d’histoires mises en place, les pièces du puzzle s’assemblent petit à petit ; les liens entre les différents personnages grandissent, s’affirment et s’affinent, tandis que le décor nu évolue pour laisser place à la forêt dans laquelle se terminera la pièce. On continue ainsi sur le modèle de l’épopée, en retrouvant certains des personnages de Chaos des années plus tard, tandis que d’autres ont disparu ou n’ont plus de rôle dans cette nouvelle histoire. De nouveaux personnages apparaissent, pendant que d’autres semblent plus en retrait – comme Samy, le père de Nour, parti vivre aux États-Unis pour devenir musicien à succès, mais qui n’oublie pas pour autant son passé.
Une saga féminine emplie d’espoir
La saga imaginée par Valentine Sergo se concentre sur les personnages féminins. Après Hayat, c’est donc au tour de Nour d’être au centre du propos. On apprécie la manière dont son destin croise celui des autres. Ce personnage, porteur d’espoir dans Chaos, se révèle être la lumière qu’attendait sa mère – d’où son nom de Nour, qui signifie « lumière » en arabe. Elle éclaire non seulement la vie de Joran, mais offre aussi l’amour qui manquait à Sophie, tout en (re)donnant un sens supplémentaire à la vie de Samy. Quant au lien qu’on croyait brisé avec sa mère, les circonstances vont changer les choses, et les deux femmes pourront finalement se retrouver. La petite Sophie – de sophia, sagesse en grec – devient elle aussi centrale au fil de la pièce, avec la dimension de réflexion écologique qu’elle porte dans sa relation avec Joran et avec le figuier qui l’accompagne et grandit tout au long du spectacle. C’est d’ailleurs une des forces de Cœurs battants : placer cette thématique ô combien d’actualité dans un propos plus large, sans le faire de manière artificielle et avec une grande sensibilité aux symboles. Outre le prénom de Sophie, le figuier est associé à la sagesse dans de nombreuses cultures[1], pas étonnant dès lors que les deux soient si proches… Toute l’histoire est ainsi magnifiquement construite pour donner à penser la question d’une autre manière, sans démagogie, sans militantisme, mais avec toute la bienveillance symbolisée par les personnages de Valentine Sergo.
Cœurs battants s’avère au final être un spectacle moins dur que le précédent : la violence qui régnait dans Chaos semble enfin apaisée. Pour autant, les personnages ne sont pas épargnés, et on ne tombe pas dans le pathos du « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Au contraire, c’est parce que toutes et tous ont vécu des traumatismes, que leur monde est en plein changement, qu’iels sont porteur·se·s d’un message d’espoir. Et Nour brille alors comme la lumière que sa mère voulait qu’elle soit.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Cœurs battants, de Valentine Sergo, du 17 août au 3 septembre 2023 au Théâtre de l’Orangerie.
Mise en scène : Valentine Sergo
Avec Anne-Shlomit Deonna, Wissam Arbache, Nasma Moutaouakil, Adrien Zumthor, Bénédicte Amslet Denogent et Djemi Pittet Sané
https://www.theatreorangerie.ch/events/coeurs_battants
Photos : ©Isabelle Meister
[1] Pour en savoir plus : https://www.lecameleon.eu/figuier.php