Au coin de la rue, l’aventure !
Le dimanche 21 avril s’est clos en apothéose le Festival Histoire et Cité. Dans l’enceinte de la Rumine à Lausanne, le public a pu assister cet après-midi à une ultime table ronde avec pour thème « Les médias et la rue : manifestations et révolutions sous l’œil des médias ». La question principale qui s’est posée ce jour-là : comment les journalistes font pour couvrir l’actualité dans la rue ? Retour sur cet échange fondamental.
Quelle place pour le journaliste ?
Deux journalistes, deux historiens. Richard Werly du média zurichois Blick, Jean-Philippe Ceppi, journaliste à la RTS et à leurs côtés, Alain Clavien et François Vallotton, historiens de la presse. Durant ce débat à quatre voix modéré par la Présidente du Club suisse de la Presse, Isabelle Falconnier, nos intervenants se sont partagés durant une heure le micro pour débattre sur le rôle du journaliste au milieu des tumultes de la rue.
Cet échange fructueux a donné lieu à des questions intéressantes sur notamment la place du journaliste au milieu du raffut de la rue. On a alors rappelé les risques auxquels s’exposent nos confrères lors des manifestations, violences autant de la part des policiers que des manifestants dans le monde. Là s’est posée une question légitime : les journalistes doivent-ils bénéficier de protection policière ? La réponse de Jean-Philippe Ceppi est clairement « non ». Les journalistes ne doivent pas faire corps avec la police. Ce serait anti-démocratique. Lorsqu’il y a violence contre les médias, il faut de manière systématique que l’agression soit relayée. Mais ces derniers ne doivent pas non plus se placer en tant que sympathisants d’une cause. L’ambiguïté soulignée par Richard Werly, correspondant pour Blick à Paris, est que le journaliste est parfois confondu avec le manifestant. Et avec raison. Il arrive qu’une proximité exagérée avec les manifestants, notamment les jeunes, pose un problème d’éthique. Trois études de cas ont permis de mettre en lumière la difficulté du terrain en cas de tumulte. On retiendra notamment des images fortes tirées des grèves du climat du 15 mars 2019 à Lausanne, ayant réuni des milliers d’activistes, dont une cinquantaine ayant pénétré dans les locaux des Retraites Populaires. Jean-Philippe Ceppi nous informe que la journaliste ayant couvert cette actualité s’était sentie « mal à l’aise » durant le tournage. Elle avait l’impression d’être « dans la peau d’un documentariste de mai 68 ». Au final, on rappellera que le rôle du journaliste est avant tout d’être un témoin pour la postérité, et malgré la situation délicate dans laquelle la reporter a pu se retrouver durant cette manifestation, elle s’est déclarée satisfaite d’avoir pu contribuer grâce à cette documentation à l’Histoire. Pour en savoir plus sur les limites de la déontologie auxquelles font face les médias, nous ne pouvons que vous recommander Glisser sur une glace dangereusement fine, de Jean-Philippe Ceppi publié aux éditions Alphil, qui retrace l’histoire de l’immersion en caméra cachée.
Quand les manifestants entrent dans nos foyers
François Vallotton a souligné que la médiatisation des événements à la TV a permis de faire entrer dans les années 80 les manifestations dans les foyers. Cela a amené à une vive critique de la TV dans ces années-là, accusant le petit écran de complicité avec les manifestants.
Les manifestants ont un rôle pas très commode à jouer. Alain Clavien rappelle qu’un activiste doit se montrer à la fois sympathique aux yeux de ses concitoyens tout en impactant de manière concrète la scène publique. Sans action concrète, pas de caméras. Ces caméras, si les revendicateurs de rue les aiment, il leur arrive de remettre en question leur partialité. Et c’est là où la situation devient encore plus schizophrène (et cocasse). L’historien dénote l’opinion virulente que les gilets jaunes ont pu avoir envers certains médias, cependant, en fin de journée, ils ne manquaient pas de se ruer en bande dans les bistrots pour voir si la manif avait été filmée, tout en donnant deux, trois coups de coudes aux copains dont la tête apparaîtrait. Parfois même, c’est au tour du manifestant d’entrer en « immersion ». Un célèbre épisode rapporté des années 80 mettra en exergue l’audace de certains contestataires. Le 15 juillet 1980, la SRF montrera un drôle de couple, le couple Müller, des manifestants déguisés en bourgeois zurichois. Il aura fallu une bonne demi-heure à l’équipe du plateau pour découvrir le pot aux roses.
La manifestation, un sport de rue
Richard Werly fera état d’une violence croissante autant du côté des policiers que du côté des manifestants en France. Et cette violence peut jouer à l’encontre de ceux qui ont font usage. L’exemple de la France a été nommé pour évoquer les pics de violence prenant toujours l’ascenseur. Les gilets jaunes ont perdu leur cause à cause de la violence. Le saccage de l’arc de triomphe a été un élément important pour décrédibiliser le mouvement dans l’opinion publique. La violence est devenue un langage à part entier. Cela amène à une confusion politique et une confusion dans son utilisation.
Outre la violence, le cadre des manifestations a changé. Il n’y a plus de héros révolutionnaire. Il n’y a plus d’interlocuteur favorisé pour ces différentes manifestations. Le rôle de la presse n’est plus de diriger l’opinion publique mais de la suivre. Si la rue reste un bon baromètre de nos sociétés, les médias restent miroir de la rue. François Vallotton émettra toutefois un bémol à cette ultime remarque. « Les » médias, ça n’existe pas. Il y a « des » médias. Il faut contextualiser géographiquement et qualitativement. Quoi qu’il en soit, le rôle de la presse dans nos rues est essentiel. Rappelons que la liberté d’opinion, qui permet d’apporter une liberté populaire, est issue de la liberté de presse, présente dans la Constitution de 1848. Ce n’est qu’à partir du XXème siècle que la liberté d’expression sera démocratisée pour l’ensemble de la population helvétique.
Apolonia M.-E
Le Festival Histoire et Cité s’est tenu du 15 au 21 avril dernier.