Aux extrémités de la politique
À l’Orangerie, Adrien Barazzone incarne tout un Conseil Municipal, appelé à débattre autour d’une œuvre d’art contemporain. Avis polarisés et caricature (ou pas d’ailleurs) sont au rendez-vous de La politique du pire, à voir jusqu’au 6 juillet.
Sur la scène, on retrouve un grand pupitre, cinq chaises et autant de micros. Pas de doute, nous nous tenons face à la salle du Conseil Municipal. La question qui animera les débats du jour : doit-on déboulonner la statue de Woodrow Wilson pour la remplacer par une œuvre d’art intitulée « Boule de papier » ? Les discussions sont virulentes, abordant le symbole que cette œuvre renvoie, mais évoquant aussi la figure de Woodrow Wilson, sans oublier la question de la beauté de l’œuvre en question. À travers cela, c’est aussi l’occasion de s’emparer d’autres sujets brûlants : engorgement de l’hypercentre, pistes cyclables, impact sur les petit·e·s commerçant·e·s, wokisme… le tout porté par une multitude de personnages, mais un seul comédien : il fallait le faire !
Une caricature ?
Le début du spectacle peut paraître, de prime abord, un peu brouillon : on assiste à l’arrivée des Conseiller·ère·s Municipaux·ales, posant leurs affaires, prenant place en discutant de leur week-end, des émissions qu’ils et elles ont regardé à la télévision… certains piquent même du nez, après la fondue de midi. On entend également l’interminable intervention d’un Conseiller autour de la longueur du feu d’un carrefour – jolie mise en abîme de la lenteur ! – rapidement renvoyée au Canton par la Conseillère administrative en charge du dossier. Ce préambule permet ainsi de mettre en place le cadre et les personnages, afin de bien comprendre l’organisation des lieux, à commencer par le placement des personnages à notre droite ou à notre gauche, selon leur orientation politique. On notera d’ailleurs la jolie allusion au théâtre, et la comparaison avec cour et jardin, dont on ne sait jamais de quel côté il s’agit : de la même manière que la droite et la gauche selon où on est placé.
Le débat central du jour tourne donc autour de cette proposition d’installation d’une œuvre d’art contemporain. Le projet est porté par Mme Tige, doyenne des lieux, qu’on surnomme « la pipelette aux papelards » et qui insiste sur le symbole renvoyé par l’œuvre, avec cette idée de renforcer les liens. La concurrence est rude avec son homologue du centre droit, qui la prend un peu de haut et évoque l’aberration que cela serait de déboulonner la statue de Woodrow Wilson, fondateur, le rappelle-t-elle, de la Société des Nations. Quelle image cela renverrait ? Au milieu des débats se trouve le président, fier de sa position en plein centre, et donc parfaitement neutre. Quoique, ce dernier état de fait n’est pas l’avis de M. Samos, le représentant de l’extrême droite, qui a une fâcheuse tendance à s’énerver rapidement, tout en recentrant d’abord le débat sur la question, terre à terre mais somme toute légitime, de la beauté de cette œuvre. Son propos glissera rapidement sur des questions de wokisme, évoquant, on ne sait trop pour quelle raison, des « rastaquouères ». Il fallait évidemment son pendant de l’extrême gauche, un homme qui parle particulièrement lentement, avec de grands idéaux communistes, et qui vient rappeler que, au-delà d’avoir fondé la SdN, Woodrow Wilson était aussi – et avant tout selon lui – un suprémaciste blanc qui croyait en la théorie des races. Bien sûr, les débats s’enveniment, pour notre plus grand plaisir. Et on en vient à se demander si ce qui se joue sous nos yeux est véritablement une caricature…
Aborder des sujets d’actualité
À travers cette discussion, qui agit finalement comme un prétexte pour ouvrir le débat, l’occasion est belle de s’interroger sur d’autres sujets importants. Adrien Barazzone parvient ici à aborder différents points de vue, tout en présentant un panorama relativement exhaustif, sans forcément de parti pris. On aura toutefois compris que les extrêmes ne font pas bon ménage ! En reprenant des grands arguments souvent entendus, des propos qu’on retrouve régulièrement dans la presse, il tourne le débat en dérision pour interroger la pertinence de certaines décisions et confronter les points de vue. On évoquera les « autoroutes pour vélos », la peur des petit·e·s commerçant·e·s de ne plus avoir de client·e·s si on piétonnise la zone, ou encore la lenteur des transports publics qui manquent de sites propres, malgré les précédentes votations.
Dans La politique du pire, les débats demeureront sans véritable conclusion. On peut être quelque peu frustré·e de ne pas avoir assisté au vote final, mais le spectacle a le mérite de montrer les différentes opinions sans nous orienter. La finalité du propos n’est donc pas la décision que prendra ce Conseil Municipal, mais bel et bien de montrer la teneur du débat, tout en la caricaturant quelque peu, afin de montrer que les débats sociétaux et politiques sont finalement très proches. Et qu’ils sont portés par des êtres humains, convaincus du bien-fondé de leur opinion, et qui peinent, bien souvent, à entendre les arguments des parties adverses. En ce sens, Adrien Barazzone réussit parfaitement son objectif de montrer le système, dans un deuxième opus particulièrement convaincant, après le premier, Toute intention de nuire, qui nous avait quelque peu laissé sur notre faim.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
La politique du pire, d’Adrien Barazzone, du 25 juin au 6 juillet 2025 au Théâtre de l’Orangerie.
Mise en scène : Adrien Barazzone, avec la complicité de Barbara Schlittler et Christian Geffroy Schlittler
Avec Adrien Barazzone
https://www.theatreorangerie.ch/events/la_politique_du_pire
Photos : ©Carole Parodi