Ode au théâtre
Que se passe-t-il la nuit, dans les théâtres, quand il n’y a plus que les âmes qui errent là ? Philippe Macasdar et Pavel Jancik imaginent un dialogue entre un metteur en scène et un chorégraphe de combat pour y répondre. Entre autofiction, absurde et mise en abîme, Comme ci (ou comme ça) s’apparente à une véritable ode au théâtre. À voir au Théâtricul jusqu’au 6 juillet.
À notre entrée dans la salle, le metteur en scène incarné par Philippe Macasdar est assis à son bureau, l’air pensif. Pendant un moment, on n’entend que le bruit de sa chaise qui grince, le stylo qui frotte sur le papier et la machine à café, véritable personnage du spectacle. Il lit des articles, griffonne, réfléchit, à la lumière de la servante. Jusqu’à ce qu’arrive un certain Jaroslav (Pavel Jancik), chorégraphe de combat pour le cinéma et à la recherche de travail pour la prochaine création du metteur en scène. Comment est-il entré alors que personne n’a les clés ici ? Grande question qui en appellera plein d’autres. La magie du théâtre se développe alors, et une discussion s’ensuit entre les deux complices, sur le potentiel travail, le rapport entre cinéma et théâtre, l’histoire de ce dernier, et de nombreuses anecdotes, avec une grande dimension absurde. Dans cette amitié naissante se joue une véritable déclaration d’amour au théâtre.
Du métadiscours au métathéâtre
Dans les dialogues, de grandes figures du théâtre sont convoquées : Shakespeare, Molière, Beckett, Pirandello, Brecht, Ibsen, Benno Besson, et tant d’autres ! Philippe Macasdar et Pavel Jancik ont d’ailleurs collaboré avec certains d’entre eux, tout en montant les textes des autres. À travers les citations et autres truculentes anecdotes convoquées par ce grand raconteur qu’est Philippe Macasdar – on se souvient de son vibrant hommage à Benno Besson à la Comédie de Genève, avec la complicité cette fois-ci de Carlo Brandt – c’est tout leur amour pour l’art du théâtre qui se dévoile. Cette discussion, portée par un ancien directeur toujours aussi passionné et un homme de l’ombre devenu – une fois n’est pas coutume – acteur, transcrit toute la passion qui les anime.
Preuve en est lorsqu’ils nous racontent comment les termes « cour » et « jardin » sont entrés dans le vocabulaire théâtral, ou encore lorsqu’ils évoquent le rôle de la servante, cette ampoule toujours allumée, qu’on nomme aussi sentinelle. Pavel Jancik ira même jusqu’à tenter de nous apprendre – j’ai même fait partie des trois personnes sélectionnées – comment mettre et recevoir une baffe pour de faux… avant d’être arrêté par Philippe Macasdar qui lui rappelle la présence du quatrième mur, et que les spectateur·ice·s ne sont ni comédien·ne·s, ni cobayes de ses expériences ! Si bien qu’on ne sait plus où s’arrête la fiction et où commence la réalité. On évoquera encore ce bref mais intense passage où le metteur en scène évoque l’utilisation du champ lexical propre au théâtre dans les domaines de la guerre et de la politique. De quoi nous placer face à ce constat implacable : le monde est devenu un théâtre, et les acteurs qui jouent les premiers rôles vont bien au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer. Ce qui vient nous rappeler ironiquement la force du théâtre pour dire le monde.
Une déclaration d’amitié
Avant le spectacle, Philippe Macasdar s’applique à nous distribuer un petit texte qu’il a rédigé sur les étapes marquantes de son amitié avec Pavel Jancik. On retrouve plusieurs éléments, soigneusement distillés dans le texte qui est joué sous nos yeux. À commencer par la grande complicité entre les deux compères, qui nous montrent leur passion commune et cette envie, toujours présente, de travailler ensemble. Ils nous rappellent la nécessité d’un metteur en scène, mais aussi des métiers de l’ombre, comme ce chorégraphe de combat, mais on pourrait aussi évoquer la lumière, la musique et tous les éléments techniques… Les voilà mis en lumière ici, symboliquement aussi par la présence d’un homme qui rappelle sans cesse ne pas être acteur.
Autre symbole, celui de la machine à café, qui n’a pas été très collaborante ce soir-là, elle qui est pourtant une actrice à part entière de Comme ci (ou comme ça). Il a fallu rebondir, improviser, créer l’illusion des cafés bus, entrer dans un autre monde. C’est ça, aussi, la magie du théâtre. Et voilà que la boucle est bouclée, avec ce quatrième mur qui est aussi tombé précédemment, nous permettant d’entrer pleinement dans leur monde, et avec le même plaisir qu’ils ont – imagine-t-on – à jouer ce spectacle difficilement classable, mais ô combien précieux.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Comme ci (ou comme ça), de Pavel Jancik et Philippe Macasdar, au Théâtricul, du 24 juin au 6 juillet 2025.
Mise en scène : Pavel Jancik et Philippe Macasdar
Avec Pavel Jancik et Philippe Macasdar
Photos : ©Denis Ponté
Affiche: ©Jean-Marie Abplanalp