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BA7 – Critiques à l’étranger

Les étudiants de l’atelier d’écriture du BA7 de français moderne de l’Université de Genève s’attellent à l’exercice de la critique. Aujourd’hui, Clémence Briziou nous emmène à Manhattan avec un homme en quête de réponses, tandis que Linda Mancesti revient sur une lettre adressée à un ancien dictateur en Roumanie…

Seul dans Manhattan

« Et si la réalité de chacun était un choix subjectif que l’on fait avant de naître ? » (p. 129)

Comment ferait Lubitsch ?, le dernier roman de Tomaso Solari, auteur tessinois, nous fait voyager dans les États-Unis des années 80. Direction New-York. Nous suivons Harper Ford Finnegan, fils d’une mère internée en hôpital psychiatrique et d’un père qu’il n’a jamais connu, tous deux issus de grandes familles bourgeoises. Durant toute sa vie, Harper ressent une grande souffrance : qui est-il ? La perte de proches, les injustices et le chagrin sont compensés par la drogue, la fête, les femmes. Élevé par sa grand-mère, ce sont les comédies musicales, le cinéma et le jazz rythmant son enfance qui sauveront Harper du désespoir. Un film changera tout : Ariane.

« Par hasard, le chien a allumé le post sur un film dans lequel Audrey Hepburn a appelé monsieur Flannagan, non pas Finnegan, un vieux beau, joué par Garry Cooper » (p. 150-151).

Le récit fonctionnant comme une véritable cartographie de New-York, nous découvrons cette ville fascinante aux côtés d’Harper, dans une berline filant aux quatre coins de la grosse pomme. Les sens sont particulièrement engagés dans ce roman empli de musicalité, de bruits urbains, de cris et de pleurs. Tout en dépeignant l’atmosphère d’une époque, Tomaso Solari réalise une prouesse formelle : d’un côté, les aventures du héro défilent sur fond d’enquête et de quête initiatique. Qui est véritablement son père ? D’un autre, l’œuvre littéraire se transforme étonnamment en script cinématographique. La dichotomie stylistique se perçoit aisément, l’intériorité du personnage d’Harper semble disparaître au fil de l’ouvrage… pour ensuite revenir, telle une quête de soi. Laissez-vous vous guider dans ce roman à la forme originale, entre enquête et rêve, noirceur et optimisme, amour et tristesse, musique et cinéma.

Clémence Briziou

Références :

Tomaso Solari, Comment ferait Lubitsch ?, Genève, Éditions Encre Fraîche, 2022, 293p.

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Cher Dictateur, merci.

« Dis-moi, Nicolae, en voyant ces enfants s’agenouiller pour former le mot “Libertate”, un frisson de honte parcourait-il ton échine ? » (p. 29).

Écrire à la personne qui a bouleversé la vie de tant de gens, qui les a privés de leur liberté, de leur tranquillité, de leur dignité – c’est là l’étonnante proposition de l’écrivain vaudois Eugène. Dans Lettre à mon dictateur, l’auteur s’adresse à l’homme qui a tyrannisé son pays d’origine, la Roumanie. On plonge alors au cœur de l’histoire de ce pays qui a subi les volontés démesurées, mégalomanes et criminelles du dictateur Ceaușescu. Mais pourquoi lui écrire, plus de trois décennies après sa mort ?

Entre les lignes se trahit un besoin de se réapproprier son histoire, de s’émanciper, mais aussi d’écrire au nom d’une collectivité, car l’auteur de cette lettre n’est pas un cas isolé : ils ont été des milliers à fuir cette folie grandissante. La lettre renseigne sur la réalité de ces migrants roumains, sur le rapport à leur pays, à leur identité, et surtout sur ces « deux jours les plus importants de [leur] vie » (p. 7) que sont, comme l’indique l’épigraphe du livre, le jour où l’on naît et le jour où l’on sait pourquoi. L’écriture y est anecdotique, teintée d’humour, d’ironie et de provocation, pour traduire pourtant un profond malaise, une « dette » qui poursuit l’auteur tout au long du livre et qui en a motivé l’écriture. Écrire à Ceaușescu donc, pour mettre en lumière l’innommable, pour le comprendre, pour raconter, se libérer définitivement de son emprise.

Informatif, agréable à lire, Lettre à mon dictateur ne s’adresse pas à son seul destinataire : c’est une lettre ouverte à l’humanité, l’aveu de notre vulnérabilité, de notre perversion, mais surtout de notre courage.

Linda Mancesti

Références :

Eugène, Lettre à mon dictateur, Genève, Slatkine, 2022, 189 p.

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