Bande dessinée : Élise, ou la ténuité de l’enfance
« À une époque où les professeurs ont le droit de lever la main sur les élèves, le quotidien d’Élise ressemble à celui de n’importe quelle petite fille. Enfin presque… » (quatrième de couverture)
Dans la France rurale de l’après-guerre, Élise est une enfant rêveuse, curieuse et intelligente. Une mère aimante quoique discrète, un père actif au sein du Parti communiste… sans compter ses deux cadets, Christiane et Jacques, avec qui elle se rend tous les jours à la petite école du village, où elle retrouve ses amis – comme Henriette, qui adore adopter toutes sortes de petites bêtes, de la limace à la sauterelle. La vie serait douce…
… s’il n’y avait pas l’institutrice, Lucette Jousseau, compagne de parti du père d’Élise.
Partisane d’un enseignement « à la dure », la maîtresse d’école règne sans partage sur sa classe, instillant la peur parmi ses élèves, les poussant entre eux à la délation tout en gardant une façade irréprochable face aux adultes. Quand les coupables d’une faute sont démasqué·e·s, gare au châtiment ! Avec son intégrité et son franc-parler, Élise fait régulièrement les frais de cette violence à la fois effective et symbolique, qui se traduit autant par des brimades physiques que verbales. Pour extérioriser un chagrin auquel les adultes ne prêtent d’abord que peu d’attention, la pré-adolescente se confie à ceux qui ne la jugent pas : les animaux. Poules, chèvres, mais surtout son chien, Dick, un « joli bâtard » très ponctuel qui l’attend chaque jour à la sortie de l’école.
Mais lorsque l’institutrice gifle Élise, Dick prend la maîtresse en grippe et ce ne sont que les débuts des malheurs des deux amis.
Sortie d’enfance en noir et blanc
Bande dessinée poétique et sensible, Élise se centre autour d’un moment complexe, vécu comme un passage : la pré-adolescence, qui marque la fin de l’enfance et l’entrée vers un nouvel âge empli d’inconnu. C’est, peut-être, ce qui rend son propos si ténu, si difficile à cerner, tant s’y mêle, au gré des anecdotes quotidiennes, les différents niveaux de réalité au sein desquels Élise évolue simultanément – l’école et sa violence ; le cercle familial, entre amour et incompréhension ; la vie intérieure et imaginaire, rythmée par les échanges amicaux avec différents animaux…
Publié chez La Joie de Lire en 2020, Élise a été scénarisé et dessiné par le Genevois Fabian Menor : l’histoire, à l’origine, est celle que sa grand-mère lui a confiée. Alors étudiant à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration de Genève, Fabian Menor a été touché par ce témoignage, par la violence et l’injustice vécues d’une enfance de jadis. C’est donc tout naturellement qu’il a choisi de consacrer son travail de diplôme à l’histoire de sa grand-mère. Fin 2019, Élise a remporté le Prix Caran d’Ache et la nomination Töpfer de la jeune bande dessinée, avant d’être publié chez La Joie de Lire. Si Élise touche, interpelle, révolte et émeut, ce n’est pas seulement grâce de son sujet – c’est aussi et peut-être surtout en raison de son traitement. Pour relater l’histoire d’Élise, Fabian Menor ne s’encombre pas de superflu : il opte pour le noir et blanc, à l’encre de Chine. Des premiers plans bien découpés, des arrière suggérés sur fonds blancs, des détails surtout accrochés aux visages (d’humains, d’animaux) et aux plantes (comme dans cette scène où Élise enfourche la chèvre Zézette, pour partir à la recherche de Dick)… Même les cases, délimitées par un gros trait noir, prennent des allures d’autrefois. Cette esthétique dépouillée rend le récit plus prenant encore, tant les sentiments et les vécus y transparaissent. À fleur de peau, à fleur de page.
Élise, c’est donc un récit intime à lire, à regarder et à rêver. Un récit qui, traité en noir et blanc, n’en déborde pas moins de toutes les couleurs de la vie. Un récit qui garde une mémoire que, le temps d’une lecture, on partage avec une joie fragile.
Magali Bossi
Références : Fabian Menor, Élise, Genève, La Joie de Lire, 2020, 100p.
Photos : © Magali Bossi