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Barthes y es-tu ? : la mythologie d’Amélie Poulain

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

En 1957, les éditions du Seuil publient un recueil de Roland Barthes intitulé Mythologies : le critique y rassemble 53 textes, qui se veulent les témoins de la société de son temps. Des objets aux phénomènes de société, des concepts abstraits aux scènes plus familières, Barthes décortique, analyse, s’amuse. Aujourd’hui, Élise Vonaesch s’inspire de cet exercice et vous propose de redécouvrir un film bien connu…

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Amélie Poulain est devenue un personnage mythique depuis la sortie du film en 2001. Elle incarne ceux qui ne sont pas représentés dans la société. Que ce soit dans les films, dans les émissions ou dans les publicités, les héros discrets et timides sont ceux qu’on n’expose pas. D’habitude, on privilégie les extravertis et les courageux, qui se battent et affrontent. Pas ceux qui aident le monde par de petites choses, de petits gestes qui font du bien au cœur. Pour une fois, c’est une jeune femme très sensible qui est mise sur le devant de la scène. Et surtout, ça marche. Malgré sa timidité, elle garde son statut d’héroïne sans tomber dans le rôle de la victime. Si elle ne sauve pas le monde, elle l’aide à sa manière, en agissant dans le secret. Et c’est nouveau, tant les introvertis se perdent parmi les héros qui n’ont peur de rien.

Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain est un film doté d’une âme : un début original qui présente en détails les personnages par ce qu’ils aiment ou non. L’histoire est menée par une protagoniste hors du commun, et le scénario, qui paraît très simple, en fait pourtant un chef-d’œuvre. La simplicité de l’histoire comme des personnages n’empêche pas de produire un film hors du temps, qui n’a pas encore vieilli, loin de là. Bien qu’à l’opposé d’un film d’action, Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, outre son aspect comique, suscite la surprise, du moins l’inattendu. Ne serait-ce que par les paradoxes qu’il propose : l’alter ego d’Amélie travaille dans un sex-shop, par exemple. De plus, le travail esthétique apporte beaucoup au film et le rend culte, tant sur le son que sur l’image. Une bande originale très célèbre, reconnaissable entre toutes, qui rythme les séquences. Puis des images de Paris qui poétisent le film, cette lumière qui magnifie l’image. Comment le monde pouvait-il rester insensible à tout le charme de la ville lumière ?

C’est effectivement un succès mondial que le film a rencontré. Et c’est un tour de force : en se faisant une place si prestigieuse, en étant mondialement reconnu, s’insérant au milieu de films surexcités et privilégiant le fond à la forme, Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain a su toucher un large public. Dans un monde cinématographique dominé par la production américaine, il vient contrer horreur, gore, fantastique et science-fiction. C’est un tout qui l’élève au rang des meilleurs films au monde. Aujourd’hui encore, le réalisateur français le plus connu, du moins le plus apprécié, reste Jean-Pierre Jeunet. Il rehausse le cinéma français sur lequel on crache désormais sans retenue. Car Amélie Poulain n’est pas seulement un personnage de film, c’est un symbole : en plus d’être le type de personnage non-représenté dans les fictions, si ce n’est dans la littérature romantique du XIXe siècle, elle incarne « l’hypersensible » esseulée dans l’effervescence d’une capitale, au milieu de gens qui ne lui ressemblent pas. Le succès du Fabuleux destin d’Amélie Poulain au Japon témoigne de cette justesse du personnage. Et jamais on ne pourra créer une héroïne similaire, aussi marginale, aussi atypique, sans que l’on pense à la mythique Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, celle qui fait rêver le monde de la France, et de Paris, ville lumière jamais mieux mise en scène aux yeux du public international.

Élise Vonaesch

Ce texte est tiré de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey.
Il a été initialement publié sur le blog d’Adrien Faure, La vie incarnée. 

Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

Photo : ©Elianemey

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