Les réverbères : arts vivants

Bergman, l’homme derrière le cinéaste

Du 18 au 21 mars, Le Théâtre Saint-Gervais accueille Dorian Rossel et la Laterna Magica d’Ingmar Bergman, pour une plongée dans la vie tourmentée du cinéaste. On en apprend ainsi sur son passé et toutes les crises qui l’ont entouré. Un spectacle puissant, porté par le comédien Fabien Coquil, accompagné de Delphine Lanza et Ilya Levin.

Laterna Magica, que l’on traduirait par « lanterne magique » désigne l’ancêtre des appareils de projection des cinémas. Quel meilleur terme pour désigner les mémoires – ou plutôt les anti-mémoires – d’Ingmar Bergman ? Pourquoi des anti-mémoires, me direz-vous ? Parce que dans ce texte, le cinéaste raconte, sans ordre chronologique précis, des souvenirs associés à des crises et autres moments difficiles de sa vie. Il enchaîne ainsi les anecdotes sur sa relation avec son frère et sa sœur ou celle qu’il a entretenue avec ses parents, à divers moments sa vie. De sa naissance au moment où sa mère était atteinte de la crise espagnole à ses premiers pas au théâtre, en passant par sa manière d’envisager des répétitions, au théâtre ou au cinéma, ce sont les moments les plus difficiles de sa vie qu’il expose dans ce texte.

Bergman, l’homme

Sur la scène, c’est Fabien Coquil qui prend en charge ce long monologue à la première personne, avec quelques incursions de Delphine Lanza dans le rôle des femmes qui l’ont côtoyée (sa mère, son épouse…). Ingmar Bergman n’y parle pas de sa vision du cinéma à proprement parler, mais plutôt de l’être humain qu’il est et des paradoxes qui le constituent. On évoquera sa relation avec ses parents, très codifiée, citant par exemple le fait qu’il n’a jamais pu les tutoyer, parce que c’était comme ça. Et alors qu’il renie presque cette façon d’envisager les choses, on s’aperçoit qu’il fonctionne de la également de manière très réglée avec les comédien·ne·s qu’il dirige en ne laissant (presque) pas de place au hasard. D’où le terme de « répétitions » qu’il prend véritablement au pied de la lettre… Ses relations familiales compliquées, comme ce moment où il a refusé d’aller voir son père à l’hôpital, ses conflits incessants avec un grand frère manipulateur, ou sa tentative avortée d’étrangler sa petite sœur peu après sa naissance, contribuent également à expliquer pourquoi ce genre de thématiques lui sont chères dans ses films. Alors qu’il n’est pas ici question de cinéma et des réalisations d’Ingmar Bergman, ce thème semble pourtant s’immiscer, malgré lui, malgré nous, dans le propos de la pièce, avec une introspection psychologique qui n’est pas sans rappeler Les Fraises sauvages. Si bien qu’on en vient à se poser l’éternelle question, décidément sans réponse : Peut-on séparer un auteur/réalisateur de son œuvre ?

Un décor en mouvement

Ce questionnement nous hantera durant tout le spectacle, en lien avec le parcours dans les souvenirs mélangés du cinéaste. Cette confusion se développe jusque dans la scénographie, qui évolue tout au long de la représentation. Sans chercher pourtant à « faire du Bergman », la mise en scène de Dorian Rossel rappelle pourtant certains éléments de l’esthétique du réalisateur : on se croirait dans un film en noir et blanc, la seule touche de couleur étant les quelques plantes vertes qui apparaissent par moment ; l’utilisation des flashbacks, lorsqu’il cite les paroles de personnes l’ayant entouré, et qu’on les entend, portées par Delphine Lanza ; l’atmosphère sombre…

La forme scénique semble ainsi s’adapter et suivre la forme textuelle : un voile blanc se dresse ainsi pendant un moment, rappelant à la fois l’esprit embrumé d’Ingmar Bergman et la neige qui tombe le soir d’une longue discussion avec sa mère. Les six panneaux suspendus en l’air et qui bougent au gré du mouvement des comédiens dans la dernière partie du spectacle pourraient quant à eux évoquer le puzzle mental déconstruit auquel nous assistons, en changeant, selon les mouvements, la luminosité de l’espace dans un jeu d’ombres et de lumières qui correspond bien aux souvenirs du cinéaste. Ajoutez à cela les manipulations qui se font à vue par Ilya Levin, parfois dirigées par le Bergman sur scène qui illustrent le côté carré de l’homme, et vous obtenez un spectacle dont la forme répond parfaitement au fond et vice-versa, en ne laissant pour seule place au hasard que la magie de l’instant, dans la capture d’une émotion…

En guise de conclusion, il me faut rendre hommage au comédien Fabien Coquil, qui porte ce texte si compliqué pratiquement seul. D’abord léger et drôle dans sa première anecdote, il passe par toutes les émotions, de la colère à la tristesse, en passant par l’incompréhension, comme s’il était habité par le texte qu’il récite. Il fait ainsi entrer entièrement le spectateur dans ce moment si profond, en illustrant parfaitement l’illusion de réalité si chère au théâtre. Et de nous ramener, d’une autre manière, à cette fameuse question : Peut-on séparer l’homme de l’œuvre ?

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Laterna Magica, d’Ingmar Bergman, du 18 au 21 mars 2021 au Théâtre Saint-Gervais.

Mise en scène : Dorian Rossel

Avec Fabien Coquil, Delphine Lanza et Ilya Levin

https://saintgervais.ch/spectacle/laterna-magica

Photos : © Carole Parodi

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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