Et la Marmite se brisa : épisode 26
Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?
Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !
Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !
Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…
Alors, ça vous tente ?
Retrouvez le début du feuilleton ICI !
* * *
Épisode 26 : Retour sur une chute mortelle
Zinalrothorn, Alpes valaisannes.
Il y a dix ans.
Simone Apfel avait toujours adoré grimper avec Franck Burnier. Les années passant, ça n’avait jamais changé. Il y avait entre eux une harmonie dans les gestes, la manière de se mouvoir, de faire jouer leurs muscles de concert – une habitude et une confiance qui témoignait d’une pratique au long cours.
Elle ressentait la même chose quand ils discutaient ensemble. Quand ils examinaient les indices d’une enquête. Quand ils faisaient l’amour.
Pourtant, elle n’avait jamais voulu se marier : elle qui aimait tant son indépendance, elle ne se voyait pas la bague au doigt, mère de famille et épouse aimante. Elle n’était pas comme sa sœur, qui avait épousé un professeur de chimie et mis au jour une adorable petite sauvageonne du nom de Heidi. Oh, bien sûr, Miss Apfel adorait sa nièce… mais elle ne s’imaginait pas elle-même élever un enfant.
Ce qu’elle avait avec Franck Burnier lui convenait. C’était le paradis.
Voilà à quoi elle pensait, quand elle vit Franck vaciller devant elle. Il venait de se désencorder d’elle pour assurer son mousqueton au piton qu’il avait fiché dans la roche… lequel, avec un craquement sinistre, s’était d’un seul coup extrait du roc.
Franck chutait dans le vide et Simone, horrifiée, ne pouvait rien faire pour le rattraper.
*
Genève, pavillon de banlieue.
Il y a dix ans.
Elle revenait du cimetière, dans son triste manteau d’automne. Contre sa poitrine, elle pressait encore une rose blanche, qui commençait (par manque d’eau) à pencher la tête.
La cérémonie avait été sobre : les collègues, les amis… celles et ceux qui avaient connu son père, à un moment ou un autre de sa vie. Mais, étrangement, pas de famille. Ni sœur, ni frère, ni parents, neveux, nièces, cousines, cousins – encore moins femme et enfants. Personne ne s’était étonné. Après tout, il était de notoriété publique que le commissaire n’avait pas d’attaches… en dehors de cette femme, cette Simone Apfel qui avait pris la parole pendant la cérémonie.
Elle, elle était restée, silencieuse et invisible, dans le fond du temple plein à craquer. Ses yeux n’avaient pas quitté Miss Apfel quand elle était redescendue de la chaire, après avoir lu son petit discours. Qui était cette femme ? Jamais son père ne lui en avait parlé… mais après tout, ce n’était pas comme si Franck Burnier avait eu le temps de lui parler beaucoup… ce n’était pas comme s’il avait tenu à la faire participer à sa vie.
En tout cas, si quelques personnes lui avaient lancé des regards curieux, nul ne l’avait abordée pour la questionner sur sa présence à l’enterrement. Sans doute, se disait-on, était-elle une de ces jeunes femmes que le commissaire avait aidées, au cours de la longue et riche carrière que la pasteure avait évoquée avec des trémolos dans la voix. Oui, sans doute avait-elle été la victime d’une affaire (ou une des témoins, qui sait ?) que le sagace commissaire avait résolu.
Comme ils se trompaient ! C’était plus compliqué que ça.
En poussant la porte du pavillon qui était désormais le sien, elle respira un grand coup : ça sentait toujours l’odeur de sa mère, l’odeur de poussière et de maladie qui avait traîné pendant des mois, avant que la vieille dame ne s’endorme finalement, épuisée par les médicaments et les années. À présent, elle était totalement et irrémédiablement orpheline. Peut-être que je vais déménager, se dit-elle en posant ses clefs sur la desserte. Trouver quelque chose de plus urbain… plus proche de la Vieille-Ville ? Elle avait toujours aimé cet endroit.
Pour s’occuper, elle résolut de trouver un soliflore, afin d’y déposer la rose. Une fois le vase rempli d’eau, elle enleva distraitement quelques feuilles qui dépassaient de la tige. Elle se sentait à une croisée de chemins : sa mère morte… et aujourd’hui, le commissaire… Dire qu’il n’a jamais parlé de moi à personne… mais après tout, peut-être était-ce logique ? Maman est tombée enceinte si jeune… Il n’a pas pu assumer. Comme elle aurait aimé retrouver sa trace avant… comme elle aurait voulu… mais c’était trop tard – trop tard à cause d’un stupide accident d’escalade !… Et cette Miss Apfel… qui est-ce ? Quel est son implication dans la tragédie du Zinalrothorn ?
… aïe ! Une épine de rose, dans le doigt.
Elle alla rincer sa main à l’évier – ce fut là qu’elle aperçut la boîte.
Un coffret, tout marqueté, un peu plus grand qu’une feuille A4. Ancien, à n’en pas douter. Des pierres semi-précieuses… et sur le couvercle… qu’est-ce que c’est… ? Un oiseau en bois sombre, avec une clef. D’où venait cette boîte ? Quand elle était partie, ce matin, il n’y avait rien dans la cuisine, elle en était sûre. Curieuse, elle effleura l’oiseau et la clef…
CLIC !
À l’intérieur de la boîte, il y avait des papiers roulés avec soin. Des parchemins. Un gros cahier écorné. Et une lettre, dont elle aperçut les premiers mots, avant même de la saisir. En voyant l’écriture, cette écriture fine et serrée qu’elle avait appris à reconnaître (la même qui avait griffonné un numéro de téléphone sur la carte de visite estampillée « Franck Burnier – Commissaire)… cette écriture…
Ma chère Cathy,
Si tu reçois cette lettre, c’est que je ne suis plus de ce monde et que des dispositions ont été pri…
Le reste de la lettre disparaissait, le papier plié en cachant les mots. Elle s’en saisit avec l’intention de la déplier… puis arrêta son geste.
Sous la lettre, il y avait quelque chose. Elle se pencha.
Un pendentif délicatement taillé dans une pierre orange.
Une carotte.
*
Café Papon, en Vieille Ville de Genève.
Il y a six mois.
À la terrasse du Café Papon, à deux pas de la Treille et des Archives cantonales, Cathy Piaget prenait le soleil en dégustant un expresso. L’air était doux, malgré la petite bise qui soufflait depuis l’aube. Elle aimait bien venir ici pour prendre sa pause : c’était tranquille, en pleine journée. Parfait pour faire le plein d’énergie avant de retourner aux Archives.
Elle aimait son travail – mais c’était un sacerdoce solitaire : les lectrices et lecteurs qui fréquentaient les Archives cantonales étaient souvent des scientifiques accaparés par leurs recherches… ils n’avaient pas vraiment le temps de causer – sauf s’ils avaient une question précise, évidemment. Alors, quand le silence lui pesait trop, Cathy venait au Café Papon et observait les gens.
Comme ces deux hommes, là, en train de discuter à la table d’à côté. La cinquantaine, tous les deux. L’un mince, sec, les mains nerveuses. L’autre, très sûr de lui, portait une chemise à carreau, une veste de tweed avec un coude plus usé que l’autre et un pantalon de velours côtelé un peu chaud pour la saison. Cathy se dit qu’il essayait de se donner un genre. C’est peut-être un historien… un professeur… ou un écrivain, avec une telle dégaine ? Elle se dit qu’un de ces jours, elle allait sûrement le croiser aux Archives.
Soudain, l’homme aux allures d’écrivain eut un accès d’humeur qui tira Cathy de ses pensées : « Arrête de penser à ça, François ! C’était il y a longtemps et le passé, c’est le passé – 1979, c’est loin. On ne saura jamais ce qui est arrivé. Pourquoi tu m’en reparles ? »
Le dénommé François répondit quelque chose que Cathy n’entendit pas, et l’autre éclata de rire : « Bien sûr, à d’autres ! En attendant, je ne veux plus parler de ça – j’ai du travail qui m’attend. Tu passeras mon bonjour à Jean, et tu lui diras que Paul Dormeur le salue bien. Bonne journée. »
Et, sur ces entre-faits, Paul Dormeur sortit du café, sans un regard pour le malheureux François, laissé seul avec les deux consommations et l’ardoise du bistrot. C’est en détaillant l’homme désormais solitaire que Cathy fut frappée d’un détail.
Là, sur la main de François… entre le pouce et l’index…
Une date lui revint en mémoire : il a bien dit 1979…
Et si… ?
Magali Bossi
La suite arrive vendredi prochain, à 17h !
Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !
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Photo : © Kanenori
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