Berthe, 102 ans, récidiviste
« Ben voilà, à force de foutre des roustres à ta femme au lieu de lui donner de la tendresse qu’elle mérite, elle jubile en creusant ta tombe. Si avec ça tu comprends pas qu’t’avais tout faux côté conjugal. » (p. 123)
Mamie Luger, avant-dernier roman de Benoît Philippon, est le récit de la garde-à-vue prolongée de Berthe, 102 ans, et de ses échanges avec André Ventura, inspecteur de police. Entre roman noir et huis-clos humoristique, ce texte donne vie au personnage extraordinaire de Berthe. Un passage aux aveux où cette mamie déterre peu à peu l’histoire d’une vie ponctuée de violences et de cadavres. L’inspecteur n’est pas près d’atteindre le fond, et va donc devoir creuser…
Bien que Berthe se soit servie de son pistolet Luger plus que de son franc parler pour survivre à des contextes périlleux, sa verve fleurie ponctue son discours de vulgarités, parvenant à rendre risibles les situations les plus dramatiques. « Ben voyons », dira par exemple Berthe lors d’un examen médical pour un coccyx cassé à la suite de violences conjugales « J’ai le con en chou-fleur et le cul pété en deux parce que j’ai raté une marche. […] Sont bien tous complices. » (p. 23)
On déplore cependant que l’auteur n’ait pas pris la peine d’utiliser la finesse de son écriture pour mettre un terme à des descriptions de poitrine à n’en plus finir, par exemple dans une scène de charpenterie où le « mamelon prêt à bondir » (p. 95) semble être un personnage à part entière, tant l’auteur lui ménage une place de choix. Il aurait également été de bon goût d’affronter frontalement la question du consentement dans des scènes de sexe afin d’éviter des phrases aussi critiquables que celle-ci : « elle voulait qu’il la prenne et ne lui demandait pas ce qu’il en pensait » (p. 156). Pour un roman traitant de viols et d’agressions sexuelles, ce male gaze est franchement maladroit, si ce n’est carrément dérangeant.
Ce roman hilarant pose crument un constat cinglant : la loi est défectueuse et n’est pas apte à régler des cas de violences conjugales. Berthe dépeint un système policier incapable de la protéger. Face à elle, Ventura fait pâle figure, et tente coûte que coûte de défendre la loi qu’il sert. Légitime défense ou assassinat de sang-froid ? La vérité est parfois plus complexe et l’auteur nous mène finement de réflexion en réflexion. Malgré ces faiblesses, l’histoire de Mamie Luger se lit donc d’une traite et nous invite à découvrir, tour à tour, la fragilité d’une vieille dame et le cran d’une tueuse en série.
Aude Bavarel
Références : Benoît Philippon, Mamie Luger, Paris, Les Arènes, 2018, 447p.
Photo : © Aude Bavarel