Bienvenue en Finlande, la sortie, c’est par là.
Six ans après Le Havre, Aki Kaurismäki porte à nouveau son regard singulier sur la question migratoire. Dans The Other Side of Hope, le réalisateur finlandais imagine la rencontre loufoque entre un jeune syrien fuyant son pays et un quinquagénaire finlandais fuyant sa propre existence.
Un cargo débarque de bon matin au port d’Helsinki. À son bord, Khaled, la vingtaine, attend la nuit pour s’extraire discrètement du container de charbon dans lequel il est caché. Le visage couvert de suie, il s’apprête à demander l’asile aux autorités finlandaises. Au même moment dans un appartement non loin de là, Waldemar, un quinqua local, dépose clés et alliance sur la table de la cuisine. Il quitte ensuite son domicile sous le regard impassible de son épouse qui se sert un verre de schnaps en guise de réponse. Alors que tout indique que la rencontre de ces deux âmes en fuite semble imminente, reste encore à découvrir quelle en sera la teneur.
Portraits croisés
Aki Kaurismäki explorait déjà les impacts de l’émigration quelques années plus tôt dans le premier volet de ce qui devrait à terme constituer une trilogie. Dans Le Havre (2011), un vieil homme prenait sous son aile un jeune clandestin débarqué du Gabon. The Other Side of Hope, le second volet, raconte quasiment la même histoire. Sauf qu’ici le personnage local est en fuite lui aussi, mais de sa propre vie, ce qui augure un scénario plutôt original.
À la manière de portraits croisés, le réalisateur filme leur progression en parallèle, dans une alternance de scènes parfaitement calibrées, de manière à ce que le temps d’écran semble égal entre les deux personnages. Les journées de Khaled ressemblent à celles qu’on se figure d’un migrant en attente de sa décision d’asile, entre espoir et angoisses. « Vous êtes sûr ? » s’entend-t-il répondre lorsqu’il demande son chemin pour se rendre à l’office des migrations, comme pour l’avertir du chemin tortueux qui l’attend. Le parcours de Waldemar, quant à lui, évoque davantage une crise de la cinquantaine bien sentie. Après avoir quitté son épouse et misé tous ses deniers au poker (en raflant la mise lors d’une scène jubilatoire), il rachète un restaurant poussiéreux livré avec une équipe de bras cassés au service et en cuisine. Et c’est dans ce restaurant peuplé de personnages burlesques semblant tout droit sortis d’un film de Jean-Pierre Jeunet que la rencontre entre Khaled et Waldemar aura finalement lieu.
Le parti pris d’en rire
Il ne faut pas s’attendre à un film factuel qui dénonce la politique d’asile à la manière de Fernand Melgar dans ses documentaires corrosifs Vol Spécial ou La Forteresse. La façon de Kaurismäki de conter l’épopée de Khaled en y mêlant celle quasi hollywoodienne de Waldemar, semble émaner d’une volonté délibérée du réalisateur d’aborder le thème de l’exil en évitant à tout prix le pathos. Comme si user d’un ton léger permettait de conjurer le sort d’un destin tragique. Car tragique, le parcours de Khaled l’est réellement. Mais le traiter sous le seul angle dramatique l’aurait privé d’une dimension plus globale. On ne peut s’empêcher de penser au récent La dérive des continents (au Sud) de Lionel Baier qui choisit également le ressort de la comédie pour parler de crise migratoire, sans faire l’impasse sur un regard critique. Détourner ce qui blesse par l’humour n’a rien d’inédit au cinéma mais reste une approche minoritaire dans un paysage cinématographique où l’émotion nous est encore trop souvent suggérée par des violons qui nous indiquent quand pleurer. S’il ne fallait qu’une seule raison de regarder le film, ce serait peut-être celle-ci.
Au couteau, la coupe
Si le film ne manque pas d’humour, il souffre en revanche de quelques éléments qui devraient irriter certains spectateurs. À commencer par les personnages caricaturaux qui l’incarnent : une jeunesse locale d’extrême droite présente à chaque coin de rue et une administration unanimement froide et intransigeante. Face à eux, les bonnes âmes prêtes à prendre tous les risques pour aider Khaled. Un manque de nuance au niveau de l’écriture des personnages qu’on a un peu de mal à saisir. Et puis Kaurismäki use aussi d’un raccourci scénaristique étonnant. La rencontre de Khaled et Waldemar qu’on attend de pied ferme durant la première heure sera finalement vite expédiée au cours d’une scène assez brève au rebondissement pas franchement crédible.
Bien qu’il pêche par endroits pour son manque de subtilité, on aurait tort de passer à côté de ce film où la poésie se savoure au détour de scènes délicieusement absurdes, si propres au cinéma finlandais. Il rappellera aussi la dimension engagée des frères Dardenne et de Ken Loach. C’est finalement un film qui remplit son cahier des charges pour son message de solidarité et de tolérance et illustre bien que dans la grande loterie de la vie, certains doivent plus batailler que d’autres pour trouver leur place. À quand le troisième volet ?
Valentine Matter
Référence :
The Other Side of Hope, d’Aki Kaurismäki, avec Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen, Nuppu Koivu … 100 minutes (Finlande, 2017)
Photos : © DR