Bolts of Melody : la poésie d’Emily Dickinson pour soigner les maux
Porter les mots d’Emily Dickinson à la scène, tout en permettant à tout un chacun d’entrer dans sa poésie. Voici comment résumer en deux mots Bolts of Melody, un projet de la Cie La Meute, porté par Lou Ciszewski. Rencontre avec la metteuse en scène.
La Pépinière : Lou, bonjour et merci de nous recevoir. Voilà un bien beau projet que de vouloir porter la poésie d’Emily Dickinson à la scène, dans un spectacle vivant. Comment cette idée est-elle née ?
Lou Ciszewski : Ce projet est basé sur une recherche effectuée à l’aide des fameuses bourses Covid. J’ai choisi de travailler sur la double traduction : de l’anglais au français, mais aussi de la poésie à la scène, dans un travail plus collectif. Tout ça dans le but de créer une matière nouvelle. Les comédien·ne·s ont donc été intégrés immédiatement dans le processus. Ce qui nous a intéressé·e·s, c’est surtout l’oralité. Je voulais qu’on se sente proche, sur scène, du sentiment qu’on ressent à la lecture. La plupart des traductions sont pensées pour être lues, sans être prononcées à voix haute. Nous, on voulait que ça sonne, que ça résonne au plateau, et nos choix de traduction ont été guidés par cela. Qu’est-ce que ça nous raconte ? C’est là qu’on retrouve la théâtralité. C’est d’ailleurs ce que je vais essayer d’amener dans l’atelier que j’anime dans le cadre de la Fête du Théâtre : quelle trace les mots laissent en chacun·e de nous ? Pour montrer que la poésie, elle est accessible à tout le monde, qu’elle peut toucher tout le monde.
La Pépinière : Il a donc fallu passer de la poésie à la scène. Comment le processus s’est-il développé ?
Lou Ciszewski : Je voulais absolument faire passer cette poésie dans le cadre de la fiction, qu’elle existe au sein d’une histoire. On ne veut pas faire une soirée lecture. Notre idée est de « curiosifier » – ce terme est sorti en répétition et Lia Leveillé, assistante à la mise en scène, aime bien le répéter – la poésie. On n’en garde pas forcément une trace très agréable, au niveau scolaire, quand il fallait la réciter par cœur au tableau. Ce qu’on veut, c’est basculer dans une histoire pour que tout le monde puisse s’intéresser à la poésie, montrer qu’elle peut parler à tout le monde, que ce soit à travers les images qu’elle évoque, les sonorités, les mots… En plus, Emily Dickinson a une poésie très imagée. Nous, on va en donner une version possible, mais il y en a des milliers. Le but est vraiment d’intéresser des gens, de créer des liens.
La Pépinière : Et donc, concrètement, sur scène, comment cela va se traduire ?
Lou Ciszewski : Le pitch de l’histoire, c’est deux personnages qui se rencontrent dans un espace abstrait, la Maison du Possible, qui est peuplée avec les mots d’Emily Dickinson. Ils sont confrontés à des épisodes douloureux de perte, de deuil. En s’entraidant, avec l’appui de ces mots, ils vont devoir faire ce chemin pour aller mieux. Sans reprendre les étapes classiques du deuil, j’ai l’idée que mettre des mots sur sa douleur permet de disperser le flou. Dans le spectacle, on va voir ces deux êtres qui errent. Leur rencontre, celle avec les mots aussi va amener différentes étapes, et va aussi faire émerger des pulsions de vie, des sursauts de légèreté, à travers la musique, l’humour, la magie. C’est ça, finalement, les Bolts of Melody. Les étapes sont propres à chacun, mais on évolue par cette confrontation, par ces petits moments où on se sent plus léger. L’espace dans lequel les personnages sont va les confronter à comment dire au revoir, parce qu’ils ne savent plus le faire. Ces rencontres vont ainsi leur donner des outils pour aller mieux.
La Pépinière : J’ai pu apercevoir une bribe de la scénographie en entrant, comment a-t-elle été réfléchie et que peut-on en dévoiler ?
Lou Ciszewski : Avec la scénographe Célia Zanghi, on voulait que tout parte du sol. On se retrouve dans un espace inconnu, mais dans lequel on est bien ancré. Les comédien·ne·s évolueront d’ailleurs pieds nus, pour être en contact direct avec cet environnement. La seule verticalité viendra d’ailleurs d’eux. Le sol, quant à lui, n’est fait que d’éléments récupérés : des bandages qu’on nous a donnés à gauche à droite, que Célia a teints et assemblés comme un immense tapis. Ils ont des couleurs, des longueurs différentes, et chaque élément est chargé d’une histoire, celle de la personne qui nous l’a transmis. Niveau couleur, on a beaucoup axé sur le violet pour le côté surnaturel. Pour les personnages, on a voulu des gens qui nous ressemblent, notamment avec les costumes, mais celui incarné par Léo Mohr, qui est là depuis plus longtemps commence à être « mangé » par cet espace. La scénographie est ainsi révélatrice de l’état intérieur des personnages. Il y a un véritable échange entre eux et le lieu, comme dans le rapport entre la « grande poésie » et les petites choses dont elle parle et qui nous touchent.
La Pépinière : Autour de ce spectacle, il y a pas mal de monde ! Un petit mot sur l’équipe ?
Lou Ciszewski : Même s’ils ne sont que deux sur scène, on est huit au total, entre la scénographie, les lumières, les costumes, le son, la mise en scène… C’est une équipe très bienveillante. Même les désaccords sur des traductions ou des choix n’ont fait qu’enrichir le spectacle. Les deux comédiens sont très différents par exemple : Diane Albasini a besoin de comprendre, de parler, d’expliquer les choses, alors que Léo Mohr est plus dans la corporalité, il a besoin d’expérimenter. Mais leurs deux approches différentes font aussi leur solidarité, leur complicité. Par leur différence, ils rendent les moments où ils sont proches dans le spectacle d’autant plus touchants.
La Pépinière : Je termine avec ma question piège. Pourquoi faut-il absolument venir voir ce spectacle ?
Lou Ciszewski : Au début du projet, je voulais faire un spectacle drôle et touchant. Je crois que là on est tout proche de ça. Il faut venir parce qu’on est curieux, qu’on veut ouvrir son imaginaire. Bolts of Melody, c’est un spectacle pour penser les mots et panser les maux.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Bolts of Melody, d’après les poèmes d’Emily Dickinson, du 5 au 8 octobre 2022 à l’Étincelle – Maison de Quartier de la Jonction.
Le spectacle fera partie du marathon de la Fête du Théâtre, le vendredi 7 octobre.
Mise en scène : Lou Ciszewski
Avec Diane Albasini et Léo Mohr
Photo : © Amadeus Kapp