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Bribes de voyage

« On ne dépasse pas une mauvaise expérience dans la réclusion, mais en se risquant dans d’autres aventures, tant et si bien qu’enfin le ressentiment vacille ; qu’entamée, divisée, réduite à de frêles îlots, l’amertume laisse place au désir retrouvé d’inconnu et de surprise » (p. 84).

Jetée dans les rues tumultueuses regorgeant de vitalité du Caire, Pierrine Poget apprend à s’orienter et à se débrouiller seule. Warda s’en va, premier récit en prose de l’auteure genevoise, lauréate du Prix de Poésie C. F. Ramuz 2016 pour son recueil Fondations (Empreintes, 2017), est un carnet de voyage relatant une expérience personnelle et unique en Égypte. La narration ne progresse qu’en faisant progresser son lecteur avec elle, mais semble attendre de son lecteur qu’il la soutienne et la guide si bien que, dans cette connivence, Pierrine Poget n’est jamais seule ; l’écriture l’accompagne et jette une passerelle entre elle et le narrataire. Ce premier lecteur, ce n’est pas nous directement mais d’abord elle. En effet, ce carnet de voyage est constitué de plusieurs couches temporelles : sur place durant son séjour au Caire ; deux ans plus tard à Genève dans le dessein de raviver une mémoire trouble et effritée ; et dans un présent postérieur enfin où les impressions du journal de route se déforment encore davantage. Remodelées au fil du temps – l’imagination venant compenser un réel fuyant – ces bribes de souvenirs sont jointes les unes aux autres pour constituer un récit global de l’expérience. Ainsi, le rythme est saccadé et l’on a parfois du mal à se situer temporellement. Il faut dire qu’il n’y a de la part de l’autrice aucune volonté de romancer son périple ou de le rendre désirable en l’édulcorant. Pierrine Poget ne triche pas. Elle nous livre un ressenti qui ne nous touche pas forcément. Elle nous appelle plutôt à faire à notre tour notre propre expérience du Caire.

Son style d’écriture est très fin et poétique, ce qui s’explique par son parcours : elle vient de la poésie. Elle berce ses carnets d’une atmosphère illusoire dans une ville qui frappe à l’inverse par son caractère bruyant. Dotée d’une sensibilité exacerbée, elle se montre attentive aux détails environnants et offre une vision brouillée, en mouvement. Dans sa dérive, elle croit voir par instant et fantasme autour de cette perception indéfinie. L’écriture se déploie souvent la nuit dans une chambre, seul instant de calme et de silence, mais aussi le jour dans l’ardeur presque hostile de la ville. On tend à porter sur la narratrice un regard attendri, car elle y apparait vulnérable et parfois en danger – projetant des agressions qui n’ont jamais lieu – mais plus on avance, plus on a l’impression que cet arrachement au confort est souhaité bien que subi. Les errances dans les rues du Caire suscitent autant d’effroi que de jouissances insoupçonnées. L’écrivaine souligne le décalage culturel et la honte que lui procure le fait de ne pas respecter les traditions ou les convenances locales – par ignorance plutôt que par volonté. Malgré cela, elle ne s’en excuse jamais et ne le regrette pas non plus. Elle s’écoute et s’efforce de considérer avec légèreté les angoisses éprouvées, se rappelant qu’une fois seule sur place, l’appel de l’inconnu est difficile à réprimer.

Titouan Magdinier

Références : Pierrine Poget, Warda s’en va, Carnets du Caire, Genève, Ed. la Baconnière, 2021, 180p.

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