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Chronique de Carélie du Nord 1/4

À l’été 2023, notre chroniqueuse Elise Gressot a eu la chance d’être invitée à un mariage en Finlande. Une fois sur place, elle a exploré une partie du pays, infime malgré les quelques trois cent kilomètres parcourus, à pied et en autonomie. Cette chronique propose des morceaux choisis de ce périple.

Exaltés durant la deuxième partie du dix-neuvième siècle par les artistes du romantisme national, les paysages de Koli imprègnent depuis lors l’imaginaire finlandais. C’est donc sur les conseils de personnes rencontrées à Helsinki et après avoir contemplé des tableaux (peints par Eero Järnefelt ou encore Akseli Gallen-Kallela) magnifiant sa nature, que je me rends à Koli pour m’y immerger par la marche.

Géologiquement parlant, Koli est une montagne – bien que son sommet ne domine que de 253 mètres la surface du Pielinen, le plus grand lac avoisinant. Ayant par contraste grandi dans un pays où les Alpes recouvrent 58% du territoire, je ne peux retenir un sourire, lorsque bon nombre de Finlandais et Finlandaises m’avertissent de l’effort que présente son ascension… Sur les cimes – proéminences de quartzite ivoiré évoquant les dos arrondis de baleines gigantesques –, le regard plonge à perte de vue dans l’ondulement de forêts vallonnées, dans la patine bleutée de lacs étirés, constellés d’îlots, dans le panache de nuages cotonneux et lactescents.

D’un faîte à l’autre, marécages tant nus que boisés, futaies rafraîchies par les ombres branchues, ou encore taillis clairsemés et diaprés de rayons solaires se substituent à d’éparses prairies fleuries. Par endroits, la roche se tapisse d’un feutre végétal, que seul traverse le liseré brillant du sentier, poli par les vents, la pluie, et le pas des promeneurs et promeneuses. Il y a un plaisir ludique à sautiller de rocs en fourrés, dans ce décor sylvestre broussailleux, pelucheux (parfois même spongieux).

Au terme d’une première journée par monts et par vaux, c’est finalement plus lasse que je ne l’ai anticipé – toute randonneuse expérimentée que je me targue d’être ! – que j’atteins l’emplacement de bivouac visé, au bord du lac Herajärvi. Des traînées de lumière or pâle, rousses et sanguine embrasent la voûte étoilée et ses moires aquatiques. J’attendrai que ce ballet chromatique soit totalement englouti par la nuit, pour remplir quelques seaux d’une eau devenue encre. Elle servira à inonder les pierres brûlantes du sauna qu’abrite un modeste cabanon en bois, en libre accès pour les pèlerins et pèlerines comme moi.

Les jours suivants, j’arpente la partie la plus sauvage du parc national de Koli, parmi les combes feuilleuses et méandriques, les champs foisonnants de myrtilliers et d’airelliers, et les frondaisons opalines de bouleaux. Le silence s’infléchit seulement dans le gargouillis des torrents et le bruissement d’ailes des grands tétras, révélés fugitivement à leur envol. Lorsque l’obscurité cendre peu à peu l’atmosphère, je m’installe sous ma tente ou dans des abris lambrissés, au cœur de clairières ou sur le rivage de lacs sablonneux.

Un soir d’orage, je trouve refuge dans une cabane autrement confortable, nichée dans la forêt. Peu avant minuit, des bruits sourds me tirent de mon demi-sommeil. Je tends l’oreille, en essayant de me tranquilliser : ce ne sont que les arbres qui ploient sous le déluge, les bourrasques qui geignent, les gouttes qui s’abattent contre le carreau… Et pourtant, des tapements résonnent bientôt sur le perron, auxquels semblent faire écho les cognements de ma cage thoracique. Allons, ce ne peut sensément être qu’une personne surprise par les intempéries, à la recherche d’un asile ! Mais quand la porte s’ouvre sur une silhouette enténébrée, mes lèvres tremblantes n’articulent que difficilement un salut étranglé. Une voix pas le moins du monde patibulaire me répond alors, confuse de débarquer en pleine nuit. Son détenteur et moi lions sans tarder brièvement connaissance, avant de nous endormir placidement.

Par la suite, l’errance distillera sur mon chemin d’autres entrevues fortuites – à l’instar de celle avec une cueilleuse de baies, munie d’un grelot pour tenir les ours à distance, ou encore avec des étudiants qui égaieront une soirée bruineuse, autour d’un crépitant feu de camp.

À suivre…

Elise Gressot

Sources utilisées pour cet article :

– Wikipédia

– musée d’art Ateneum (Helsinki)

– site officiel du DFAE

Photos : © Elise Gressot

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