Chronique de Carélie du Nord 2/4
À l’été 2023, notre chroniqueuse Elise Gressot a eu la chance d’être invitée à un mariage en Finlande. Une fois sur place, elle a exploré une partie du pays, infime malgré les quelques trois cent kilomètres parcourus, à pied et en autonomie. Cette chronique propose des morceaux choisis de ce périple.
Je tourne le dos à la ville universitaire de Joensuu, après avoir flâné quelques jours dans ses rues alanguies, ses parcs paisibles où, du crépuscule à l’aube, bondissent les lièvres, et le long du lac qui s’en échappe. Le point de départ de ma prochaine randonnée itinérante n’étant pas desservi par des bus quotidiens, j’en emprunte un qui me déposera au carrefour le plus proche. Prestement, la zone péri-urbaine se dilue dans le vert profond d’innombrables hectares de forêt boréale.
Aussitôt ai-je sauté du bus, que je me mets en tête de traverser la route qui serpente vers ma destination, et de me poster à son bas-côté. J’ai en effet pris la décision de faire du stop, plutôt que de talonner une vingtaine de kilomètres goudronnés. Une voiture qui tourne à l’embranchement me laisse passer devant elle, et sans plus attendre, me voilà le pouce relevé. Une certaine appréhension me gagne, typique de l’auto-stoppeuse. Vais-je devoir attendre longtemps avant que quiconque ne me prenne à son bord ? Serai-je alors en sécurité ?
La même voiture me tire de cette litanie-éclair. Fenêtre ouverte, son conducteur m’apostrophe en finnois et tout ce que je saisis, c’est que nous ne partageons pas de langue commune. Je prononce donc lentement le nom du lieu que j’escompte atteindre, en pointant vers l’avant. Lui me fait signe de monter. Je m’exécute, ébahie par ce qui constitue encore sûrement à ce jour le record de l’attente moindre, en auto-stop.
Le ruban d’asphalte se met à défiler sous mes yeux, dans un mutisme contraint mais serein. D’immenses conifères se dressent de part et d’autre, le ciel éclatant pour horizon. Régulièrement, le reflet argenté d’un lac étincelle fugacement, ou de larges étendues bleu marine, jonchées de nymphéas, courent à nos côtés. À l’idée que de tels trésors se tiennent quiets, aussi loin que je puisse me le représenter et probablement jusqu’à la fin des temps, ma gorge se noue. Elle se resserre encore lorsque je pense à la diversité des échanges humains, et à mon compagnon de route éphémère qui, en dépit de l’impossibilité avérée de communiquer par le verbe, communie avec moi devant le paysage qui défile.
Pourtant, insidieusement, le doute m’envahit. Cette émotion mutuelle, qui me paraît palpable, est-elle le fruit de mon imagination ? Ai-je tort d’accorder instinctivement ma confiance à une personne que je viens seulement de rencontrer ? Quelques respirations plus tard, mon voisin brise le silence. Tout ce que je discerne de sa longue tirade s’avèrent la répétition du toponyme Möhkö, ainsi que les grands gestes qui l’accompagnent. J’en déduis qu’il habite en amont de la localité évoquée, et qu’il bifurque d’ordinaire plus tôt, mais qu’il a cependant résolu de m’accompagner jusqu’à mon but. La certitude de l’avoir compris m’emplit – et plus généralement, celle que l’on peut s’entendre sans mots.
À suivre…
Elise Gressot
Photos : © Elise Gressot