Comédienne et travailleuse du sexe, même combat ?
Du 7 au 10 novembre, Justine Ruchat présente une nouvelle version de son Angelina, au Théâtre du Galpon. Un spectacle intimiste, qui interroge les représentations pour tenter d’inverser la tendance.
En entrant dans la salle du Galpon, un rideau sert de sas, comme pour indiquer que nous pénétrons un univers intime. Ce lieu, c’est la loge d’une comédienne : à cour, une coiffeuse avec un miroir, du maquillage, des perruques et quelques photos ; à jardin, un grand miroir en pied ; entre les deux, un porte-manteau avec quelques tenues et plusieurs paires de chaussures disposées sur le sol. La comédienne qu’interprète Justine Ruchat doit choisir sa tenue avant d’entrer en scène. Le metteur en scène fictif, William, lui a tout préparé : mini-jupes, talons, décolleté… Seulement voilà, la comédienne n’est pas d’accord. N’est-ce pas simpliste que de réduire l’image des travailleuses du sexe à ce genre de tenue ? Alors, pendant près d’une heure, face à ses miroirs, enchaînant les essais de tenues, elle se questionne sur la manière dont elle doit jouer ce rôle. Pour ce faire, elle s’inspire des différentes figures qu’elle a rencontrées pour écrire le texte du spectacle. Avec un important parallèle avec son métier d’actrice.
Jouer un rôle
La propre de la comédienne est d’incarner un rôle. En l’occurrence, dans Angelina, on lui demande de jouer une prostituée. Les premiers mots du spectacle interpellent d’ailleurs : « une mini-jupe, des talons, et le tour est joué ! » ou quelque chose comme cela, en substance. Comme si le rôle d’une travailleuse du sexe pouvait se résumer à cela. Voilà qui en dit long sur les représentations que l’on peut avoir de ce milieu qui nous demeure tout de même très inconnu. C’est la raison pour laquelle Justine Ruchat a investigué et rencontré plusieurs figures de la prostitution. Le titre s’inspire d’Angelina, une Colombienne à l’origine du premier syndicat genevois dans le milieu, et qui est malheureusement décédée l’an dernier, à un âge déjà avancé.
Dans Angelina, donc, Justine Ruchat parcourt différentes figures, en se demandant de laquelle elle se sent la plus proche, et laquelle sera la meilleure source d’inspiration pour jouer ce rôle. Doit-elle suivre l’exemple de celle qui semble tout prendre à la légère, acceptant les fantasmes et délires des hommes qui viennent la voir, sans jamais juger ? Faudrait-il plutôt s’inspirer de celle qui dit « avoir deux chattes », une pour la vie privée et l’autre pour le travail ? Car ce que montre Justine Ruchat dans Angelina, ce sont avant tout des femmes. On aurait tendance à les réduire à leur travail, voire à les réifier, les réduisant à l’état de chose. Mais, derrière le plus vieux métier du monde, comme on le nomme souvent, se cachent des êtres humains. Chacune a développé sa propre pratique, son propre rapport à son corps, à celui de ses client·e·s, définissant ses envies et ses limites. Car elles ne sont pas prêtes à tout accepter au nom de l’argent. C’est d’ailleurs ce qui ressort également du propos du spectacle : c’est en s’assumant, en sachant ce qu’elles veulent, qu’elles peuvent s’épanouir et ne plus être touchées par le regard, souvent jugeant, des autres.
Se libérer
Et c’est là que le parallèle entre ce métier et celui d’actrice prend tout son sens, d’autant plus au vu des événements de ces dernières années et de certaines paroles qui se libèrent. Comme les travailleuses du sexe, les comédiennes doivent trouver leur voie, leur manière d’être, de jouer, d’incarner les rôles, tout en fixant également leurs limites. On les évoque ici au sens large, qu’il s’agisse des personnages qu’on leur propose, de la manière de les jouer, des costumes, ou de ce qui est acceptable ou non de la part d’un metteur en scène. Mais laissons là toute polémique, ce n’est pas le rôle de cet article.
Angelina semble résonner comme une libération. Libération de la parole d’abord, puisque Justine Ruchat y parle d’un sujet souvent tabou. Libération du corps aussi, puisqu’elle ne s’enferme pas dans les clichés attendus, essayant diverses tenues et attitudes. La scène finale, d’ailleurs, dans laquelle elle danse et se lâche, est particulièrement symbolique à cet égard. Comme si, après une heure de réflexion, elle avait enfin trouvé sa manière d’incarner le personnage qu’elle doit jouer. Libération des représentations enfin, en choisissant de pointer du doigt certains clichés, pour nous rappeler que ce sont avant tout des femmes, qui ont choisi un métier peut-être moins commun que d’autres, mais qui ne sont pas pour autant moins épanouies. Bien au contraire…
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Angelina, de Justine Ruchat, du 7 au 10 novembre 2024 au Théâtre du Galpon.
Mise en scène : Justine Ruchat
Avec Justine Ruchat
https://galpon.ch/spectacle/angelina-2/
Photos : © Erika Irmler