Comment survivre à l’été : 8 — épilogue
S’il paraît quelques fois si difficile de survivre à l’été, de s’y supporter, d’y être, il semble d’autant plus compliqué de survivre à sa fin. Cet article, le dernier de ma chronique, je l’écris comme on fait un pot de départ, comme on se tape sur l’épaule. Comme on agite un mouchoir sur un quai de gare. Comme on s’envole.
Soudain, ça n’est plus l’été.
Ou plus tout à fait. Ça n’est plus que la saison, les jours chauds. Et pour le reste, c’est la vie qui reprend, la vie la vraie. Souvent l’été se termine avec la fin des vacances — les écoles. Et même loin de l’enfance et des contingences scolaires, c’est comme si une partie de nous rentrait, mettait fin à l’été. Voilà c’est fini. Quelque chose se dissout. Quelque chose comme l’immortalité.
À un moment ça a lieu ; on sait qu’on est arrivé au bout de l’été. Souvent, c’est la nuit, la dernière nuit des vacances. Réveil prévu pour très tôt. Sommeil léger, difficile — impossible ! — à trouver. Dernière nuit dans une chambre vide, toute rangée, toute prête au départ. Cette même chambre aux couleurs de soleil, maintenant sans plus rien dedans. Tout résonne. Quelques bruits de fermetures éclair. Zip. Et un semblant de nuit, pour passer d’une vie à l’autre. Des vacances à la vie. Du soleil à la vie. De la plage à la vie. Ces nuits-là, je ne sais pas pourquoi, les murs paraissent toujours plus blancs que d’habitude. On ose à peine froisser les draps, à peine, une dernière fois. Et on ferme un œil sur deux, on alterne. Ces nuits-là on ne dort pas très bien. On sait que ça va sonner à un moment ou un autre, on se méfie.
Le matin qui pique, tellement tôt qu’on ne peut même pas l’appeler matin. Partir, partir. À un moment, dans n’importe quelle vie, il faut partir. C’est le même matin partout, dans un lieu de vacances ou chez soi. Le dernier matin avant la fin de l’été. On sait que ça pince le cœur, on essaye de ne pas penser à ce que ça signifie, le dernier regard avant la porte. On bâcle un peu les adieux aux murs, on se préserve. On ne passe rien en revue, rien encore. Plus tard, plus loin, on y repensera. Mais là ça ne sert à rien. Les souvenirs nous rejoindront, après, plus tard. Et on ferme la porte.
On se surprend à voir des gens dans les rues — et surtout à les voir en pleine forme, à faire ce qu’ils ont à faire, comme n’importe quel autre matin. Ce type de fin est idéal ; la fatigue rend la chose irréelle. On traverse les mondes sans s’en rendre compte. Et tandis que les heures avancent, que les trajets se font, l’été se recombine en souvenirs.
Survivre à la fin de l’été, c’est survivre à la fin en général, toutes proportions gardées. C’est savoir partir au moment où il faut partir. Et en rester là. C’est savoir que rien ne sera pareil, après, même si les gens seront toujours les gens, même si la terre reste la terre. On ne prolonge pas indéfiniment l’été. On veut. On ne peut pas. Parfois, on fait semblant, encore un peu. Il faut ce qu’il faut. On s’autorise des baignades, des terrasses, des glaces, des sorties. Tant qu’il y a du soleil, entre quelques moments de vraie vie, on joue à y être encore. Puis rien n’est plus pareil, et rien ne le sera jusqu’au prochain été. Avec un peu de chance on s’y retrouvera, même heure, même place, si tout va bien. On est encore dans le bain, encore dedans, on nie. Et au bout d’un moment on s’en accommode ; on ne se fait jamais une vie entière en été.
On croit à l’été irréversible. On se dit qu’après celui-ci, ce n’est plus la même vie qu’avant, et qu’on ne parviendra pas à revenir à la normale. Puis en deux semaines, un peu plus un peu moins, ça recommence. Comme si tout ça n’avait jamais eu lieu. Comme si de juillet à août on avait rêvé, on était resté là, dans la vraie vie, et on avait pensé à l’immortalité.
Et plus tard, un peu plus tard, lorsqu’on n’y est plus, la mémoire nous renvoie quelques odeurs, quelques ambiances spécifiques. Et on y met une date, une année. Et on dira qu’il a eu lieu. Même si les souvenirs c’est bizarre et qu’on ne sait jamais si les choses ont vraiment eu lieu. Ou si, mais étaient-elles exactement comme ça ? On ne sait pas. On regarde des photos, et on écoute des chansons. Des reggaetons, même, s’il faut. Et on s’y émerveille. On met tout dans le même sac, le meilleur et le pire — dont les dosages varient selon les années — et on le range quelque part.
On peut se servir de ce passé encore tout frais comme d’une rampe, un élan, et prendre son envol avec tout ce que ce que cette vie pour de faux nous aura laissé. Tout est bon à prendre, tout. Mélanine et nostalgie. Et on y retourne. On y replonge. On atterrit.
Il faut simplement saisir l’impulsion, trouver l’idée pour clore en beauté. Et moi-même à ce stade de l’article — de ce dernier-dernier, ultime article — dois-je la saisir. Je pourrais écrire encore deux pages, peut-être trois, mais je n’aime pas trop les adieux, comme on dit. Et il y a toujours quelque chose à dire, toujours. On ne part jamais vraiment complètement assouvis, toujours un petit conditionnel qui traîne dans ses tiroirs. Et c’est comme ça.
C’est quand même étrange, la fin. Les choses ont lieu, puis plus.
Et nous on continue.
Luca Leone
Voilà, ça y est, vous avez survécu à l’été. Bien évidemment, c’est encore l’été, mais il fallait clore à un moment ou un autre. Et huit c’est un joli chiffre. Merci d’avoir suivi cette chronique estivale à laquelle je tiens tout particulièrement ! Si ces écrits vous ont plu et que vous en voulez davantage, vous pourrez venir voir mon spectacle Paradiso, en septembre prochain (20-22, à l’Odéon de Villeneuve) ; un spectacle dont je signe l’écriture et la mise en scène, qui parle d’été, de cinéma, de mémoire… Il ne me reste qu’à vous souhaiter une bonne suite ou une bonne fin d’été, et à vous dire à bientôt !
Pour se retrouver à Paradiso : https://theatre-odeon.ch/billetterie
Photo : Générée par IA