Livreur à vélo : symbole de la société de consommation ?
Avec CUBE!, la compagnie Zanco propose un spectacle itinérant, sur les traces d’un livreur à vélo. De son quotidien à une évolution pour le moins surréaliste, c’est un véritable portrait de notre société de consommation, parfois inarrêtable, qui nous est livré.
Tout commence au pied d’un immeuble. Un livreur se fait littéralement engueuler – on ne trouve pas de meilleur terme – par une cliente mécontente de son retard, alors qu’elle voulait juste passer un moment de détente. Puis, à travers plusieurs scènes, dans différents lieux du quartier, on comprend d’abord comment fonctionne le travail de ce jeune homme, la pression de l’employeur et des client·e·s. Nous voilà entré·e·s dans les rouages d’une machine qui nous dépasse… À travers cette fable surréaliste, c’est tout un système qui est remis en question, et avec lui notre rapport à la nourriture et à la manière de la consommer. Ou quand le vivant, dans son ensemble, passe au second plan, au profit… du profit !
Un spectacle (paradoxalement) vivant
C’est la marque de fabrique de Zanco depuis près de dix-huit ans : proposer un spectacle vivant, explorant différentes formes artistiques. On se souvient du magnifique Miedka, cette fable qui nous invitait à retourner au temps du mythe pour se reconnecter à la nature et au vivant. Ici, c’est tout le contraire qui nous est raconté, en dénonçant une forme de déconnexion totale avec le vivant, tout en nous invitant tout de même à rêver. Pour ce faire, il y a bien sûr du théâtre, dans les moments de jeu et les dialogues entre les personnages. On ajoutera aussi la dimension circassienne, avec la présence du vélo et le véritable numéro d’équilibriste proposé par ces livreurs, dans une dimension bien moins terre à terre que le quotidien. Sans oublier la danse, le chant et la présence de marionnettes qui résonnent comme autant de manières d’entrer l’aspect métaphorique et poétique de la fable.
Ce côté poétique et cette représentation particulièrement peut sembler paradoxale, dans la mesure où le monde qui nous est décrit méprise totalement le vivant dans son ensemble. À commencer, bien sûr par l’humain, qui n’est qu’un rouage à la botte du système. Facilement remplaçable, il est sanctionné au moindre pas de côté, qui fait baisser le profit. Et ça, on ne l’accepte pas ! N’oublions pas non plus l’animal, représenté ici par le poulet, qui tente de lutter pour qu’on le considère un peu, lui qui est surconsommé, renvoyé lorsqu’il est froid et donc, jeté inutilement…
« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es »
Le célèbre adage de Brillat-Savarin prend un tout autre sens avec CUBE!. Le spectacle débute de manière assez légère, du moins très concrète. On se dit d’abord qu’on va comprendre la manière dont fonctionne le métier de livreur à vélo : faire face au mécontentement des clients, pour les retards ou les erreurs dans la commande ; les problèmes de versement de salaire et de décompte des heures, derrière lesquelles il faut courir ; l’application qui bugue ; l’itinéraire non-adapté qui vous envoie sur un chantier au lieu de la bonne adresse… Pourtant, petit à petit, l’histoire évolue vers une dimension de plus en plus métaphorique et profonde, jusqu’à en devenir presque effrayante. La machine qui se développe sous nos yeux ne fait que grandir, quitte à devenir inarrêtable et incontrôlable. Nous voilà bien loin de la décroissance dont on entend de plus en plus parler.
Le livreur devient lui-même la nourriture livrée, comme du bétail dont on se sert, qu’on remplace facilement sans aucune autre forme de procès, et pour lequel on n’a finalement pas plus de respect que pour n’importe quel outil. Quelques scènes s’avèrent ainsi particulièrement marquantes : on pense au poulet qui danse la salsa, de manière à illustrer tout l’absurdité du système ; ou encore à la tête du livreur dans le sac cubique – d’où le titre du spectacle, se dit-on – de livraison, symbolisant la manière dont l’humain devient objet et prend part, malgré lui, à ce système de surconsommation dans lequel il est entraîné. Finalement, CUBE! comprend peu de mots, et certains se répètent en boucle, quitte à rendre fou ce livreur qui les entend sans les contrôles. Les images n’en deviennent alors que plus fortes…
Fabien Imhof
Infos pratiques :
CUBE!, un spectacle itinérant de la Cie Zanco, écrite par Yuval Dishon, les 23 et 24 août à Vieusseux, puis les 6 et 7 septembre à la Jonction.
Mise en scène : Yuval Dishon
Avec Diane Didenko, Mehdi Duman et Olga Andreichikova
https://www.zanco.ch/spectacles/cube
Photos : ©Magali Girardin