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Dans ma hotte à lectures… des bouquins féministes !

Vous ne savez pas quoi demander au Père Noël ? Vous cherchez un cadeau parfait à mettre sous le sapin ? Je vous propose une série d’articles de saison, intitulée « Dans ma hotte à lectures ». Au programme ? Plein d’idées de livres à (re)découvrir, dans des styles très différents. Aujourd’hui, cap sur des livres qui mettent femmes, féminisme et questions de genre à l’honneur.

Annie Ernaux, Mémoire de fille

« En ce moment même, dans les rues, les open spaces, le métro, les amphis, des millions de romans s’écrivent dans les têtes, chapitre après chapitre, effacés, repris et qui meurent tous, d’être réalisés ou de ne pas l’être. » (p. 80)

Ça faisait un sacré moment que ce roman-là traînait dans ma tour de Babel des ouvrages à lire. Autant dire que l’attribution du Prix Nobel 2022 à Annie Ernaux m’a décidé : si ça n’était pas un signe, une injonction à m’y plonger, qu’est-ce que c’était ? J’ai donc ouvert Mémoire de fille

… et j’ai plongé dans les méandres d’une mémoire qui se souvient de l’été 1958, période bénie (ou maudite) durant laquelle « la fille de l’épicière », « la fille de 58 » (c’est-à-dire elle-même) a vécu à la colonie de S un épisode qu’elle ne pourra jamais oublier. Photos, lettres, agenda : Annie Ernaux rassemble autour d’elle des témoignages tangibles de ce qui s’est passé – un maelstrom qui a claqué la porte de son adolescence, qui lui a rendu un corps devenu étranger. Mots précis, langue dépouillée, refus de larmoiement : on ressort du choc vécu à S comme d’une piscine où il fait trop froid. On a la peau qui pique, le cœur hésitant entre la chamade et la nausée. Mais, avant tout, on se questionne sur le fonctionnement de la mémoire, sur la manière dont l’esprit (re)construit des années plus tard les événements, traumatiques ou non, qui finissent par former le patchwork de nos identités.

Virginie Despentes, King Kong théorie

« C’est d’en parler qui est difficile. Ce que ça implique dans la tête des gens, face à qui je me retrouverai ensuite. La condescendance, le mépris, la familiarité, les conclusions déplacées. » (p. 73)

Celui-ci, je le dois à la bibliothèque de ma petite sœur, toujours fournie en références passionnantes. Il n’était pas très épais, il tenait dans mon sac à dos déjà bien rempli – je l’ai emporté avec moi après un thé et des biscuits. Et puis, je n’avais encore jamais lu Despentes.

Pas mal d’encre a coulé sur King Kong théorie – aussi, je ne vais pas réinventer la roue et en dire ce que tout le monde en a sans doute déjà dit. Juste que ce bouquin n’est pas juste un bouquin. C’est surtout une sacrée putain de baffe. Oui, ce terme a été choisi et souligné, parce que c’est ce que propose Despentes, après tout. Les sept parties de l’ouvrage ont des titres souvent évocateurs : « Bad Lieutenantes », « Je t’encule ou tu m’encules ? », « Impossible de violer cette femme pleine de vices », « Coucher avec l’ennemi », « Porno sorcière », « King Kong Girl », « Salut les filles »… Elle y aborde des thèmes dont on parlait rarement avec des mots si découverts, en 2006 (date à laquelle elle publie pour la première fois King Kong théorie) – comme la prostitution (qui peut être volontaire et ne pas forcément relever d’une exploitation), le viol ou encore l’industrie du porno. Ça tient un peu du monologue intérieur, un peu de l’essai féministe, un peu de la réflexion philo-historico-politique, un peu de l’analyse cinématographique (quand on parle du fameux King Kong de Peter Jackson en 2005) et ça parle beaucoup, BEAUCOUP de patriarcat et de domination. On ne voit pas toujours où ça veut aller, on n’est pas toujours d’accord avec les propos (auxquels #metoo a apporté une nouvelle coloration), ou on est parfois TROP d’accord avec les propos… mais au final, c’est bien que le bouquin a rempli son rôle, non ? Celui de nous questionner, de nous bousculer. De nous faire voir le monde autrement, avec des lunettes différentes.

Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme

« L’histoire de l’évolution de l’humanité étant envisagée presque exclusivement du point des vues des hommes, les rapports sociaux qui impliquent les femmes sont rarement pris en considération. Les premiers anthropologues et archéologues n’hésitent pas à donner une description conventionnelle de leurs comportements, sans toutefois pouvoir s’appuyer sur des preuves archéologiques directes. » (p. 31)

Une des choses que je préfère dans mes lectures, c’est la vulgarisation scientifique. Rendre accessible un savoir complexe afin de le transmettre au plus grand nombre. Une autre chose que j’apprécie, c’est la remise en question des savoirs préexistants : quiconque s’intéresse aux sciences (qu’on parle d’astrophysique, d’histoire, de biologie ou d’études littéraires) a conscience que ce qu’on nomme « savoir » ne repose sur des certitudes… que jusqu’à ce qu’on découvre de nouveaux éléments qui invalident ces certitudes ! Le savoir est donc appelé à évoluer, au fil du temps et des recherches. Autant dire qu’avec l’ouvrage de Marylène Patou-Mathis, j’ai été gâtée.

Patou-Mathis, c’est une préhistorienne française, directrice de recherche au CNRS et notamment spécialiste des Néandertaliens. Et, qu’on se le dise tout de suite, elle n’a pas peur d’être passionnante, ni de ruer dans les brancards. Dans L’homme préhistorique est aussi une femme, elle pose une question simple : pourquoi, quand on imagine la préhistoire (dans la littérature, au cinéma, en peinture ou simplement en discutant autour d’un verre), on considère toujours que ce sont les hommes – et, plus précisément, les mâles – qui chassaient les mammouths ? Peignaient les murs de Lascaux ? Inventaient les outils ? Découvraient le feu ? Pourquoi voit-on si peu de femmes dans ces représentations qui modèlent notre imaginaire du passé ? Essentiellement parce que la paléontologie est une science qui a été inventée par des hommes et pour des hommes au cours du XIXe siècle, siècle où la place de la femme (en particulier bourgeoise) était à la maison, où son rôle se résumait à la tenue de son intérieur et à l’éducation des enfants (bon, il y a évidemment eu des exceptions). Patou-Mathis met donc le doigt là où ça fait mal : la manière dont nous imaginons le monde est toujours située dans une époque précise ; elle n’est pas anodine… et voilà qui explique que, parfois ou souvent, on transpose notre présent sur les époques passées.

Partant du paléolithique jusqu’à nos jours, la préhistorienne remet ainsi en question l’image que nous avons de notre histoire – fouilles et données scientifiques à l’appui, bien sûr. On apprendra ainsi que certaines mains peintes dans les grottes sont indéniablement féminines et que de nombreux ossements, attribués à tort à des hommes en raison de leur musculature développée, sont en réalité ceux de femmes… Passionnant, accessible : on en redemande !

Karrie Fransman & Jonathan Plackett, Le Bel au bois dormant

« Il était une fois une Princesse qui voulait épouser un prince, mais un prince véritable. Elle fit donc le tour du monde pour en trouver un, seulement il y avait toujours quelque chose qui clochait. […] Chaque fois, un petit défaut venait lui rappeler qu’elle n’avait pas encore trouvé ce qu’elle cherchait. » (p. 41)

Cet incipit, c’est celui d’un conte intitulé « Le Prince au petit pois », l’un des douze que Karrie Fransmann et Jonathan Plackett se sont proposé de réécrire. Leur ouvrage (traduit de l’anglais par Marguerite Capelle et Hélène Cohen) porte un sous-titre malicieux qui explique bien leur démarche : Le Bel au bois dormant, et autres contes où les princesses volent au secours de leur prince.

L’idée est si simple, si ludique et si déboussolante, qu’elle a m’a évidemment séduite lorsque je me suis rendue dans ma librairie jeunesse préférée : pourquoi ne pas réécrire des contes HYPER célèbres… mais en appliquant un algorithme malicieux qui inverserait le genre de tous les personnages vivants ? Ainsi, les princesses deviennent des princes et les princes, des princesses ; les Géants sont des Géantes et les chevaux se transforment en juments, sans oublier les rois et les reines qui inversent rôle et couronne… vous me suivez ? Pour les deux auteurices, il s’agit avant tout de s’amuser – sans militantisme forcené, mais juste en posant la question suivante : pourquoi s’enfermer dans des stéréotypes ? Sous leur plume, les princes s’intéressent aux beaux habits et ne s’interdisent pas de pleurer ; ils ont la peau délicate et des rêves plein la tête. Les filles, comme Hansel, ne sont plus cantonnées à un rôle de figurantes. Elles agissent par elles-mêmes et aussi pour elles-mêmes : de jeunes paysannes combattent les géantes, des princesses prennent le dragon par les cornes et ne craignent pas d’affronter le monde entier. Ainsi, chacune et chacun peut vivre la vie qui lui plaît, comme il lui plaît. Au-delà du plaisir de redécouvrir autrement des histoires archi-rabâchées, il y a évidemment celui de remettre en question des modes de narration et d’écriture que l’on est désormais libres (ou non) de faire évoluer. Preuve en sont les contes choisis : « Le Beau et la Bête », « Cendron et la Petite Pantoufle de verre », « Jaqueline et le haricot magique », « Blanc-flocon » ou « La Chatte bottée » – pour n’en citer que quelques-uns. Alors… qui a peur de la Grande-Méchante Louve ?

En attendant le prochain numéro de « Dans ma hotte à lecture »,
n’oubliez pas : lire, c’est bon pour la santé !

Magali Bossi

Références :

Annie Ernaux, Mémoire de fille, Paris, Gallimard, coll. Folio, 2016, 165p.

Virginie Despentes, King Kong théorie, Paris, Grasset, coll. Le Livre de Poche, [2006] 2021, 151p.

Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme. Une histoire de l’invisibilité des femmes, Paris, Allary Éditions, 2020, 350p.

Karrie Fransmann et Jonatha Plackett, Le Bel au bois dormant, et autres contes où les princesses volent au secours de leur prince, Paris, Stock, 2021, 164p.

Photo : © Magali Bossi

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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