La plume : critiqueLa plume : littérature

Dans ma hotte à lectures… des bouquins qui donnent faim !

Vous ne savez pas quoi demander au Père Noël ? Vous cherchez un cadeau parfait à mettre sous le sapin ? Je vous propose une série d’articles de saison, intitulée « Dans ma hotte à lectures ». Au programme ? Plein d’idées de livres à (re)découvrir, dans des styles très différents. Aujourd’hui, je vous parle de… nourriture !

Mitsuru Nishimura et Takuro Kajikawa, Le Chef de Nobunaga

« Ken est un cuisinier de notre temps. Mais un jour, il se réveille dans le Japon du XVIe siècle en plein époque Sengoku, “l’ère des pays en guerre”. Ayant entendu parler de ce cuisinier de talent vivant à Kyôto, Nobunaga, gouverneur féodal, décide d’en faire de force son cuisinier personnel… » (quatrième de couverture)

Fureter dans les bibliothèques des gens que l’on connaît, ça a souvent du bon. Pourquoi ? Parce que ça recèle la plupart du temps de (très) bonnes surprises – surtout si on laisse parler sa curiosité. C’est d’ailleurs dans les rayonnages de la bibliothèque de ma sœur que j’ai mis la main sur une série de mangas qu’il me tarde de dévorer en entier : Le Chef de Nobunaga, scénarisé par Mitsuru Nishimura et dessiné par Takuro Kajikawa. Dans le monde de l’édition, Le Chef de Nobunaga est un seinen – c’est-à-dire un manga destiné avant tout à des jeunes adultes de sexe masculin. Eh oui, parce qu’au Japon, la jungle éditoriale du manga, si elle est ultra-foisonnante, est aussi TRÈS organisée : à chaque âge, chaque sexe, chaque groupe social, sa ligne éditoriale. Ça permet de mieux cibler ce qu’est susceptible d’aimer tel ou tel public[1]. Le seinen s’est développé dans l’archipel après la Seconde Guerre mondiale, en réaction à une partie de la critique qui jugeait le manga d’alors trop enfantin : les histoires deviennent alors plus sérieuses, plus réalistes, mais aussi plus violentes et parfois plus sexualisées. Rassurez-vous, dans Le Chef de Nobunaga, c’est encore assez soft. Lancée en 2011, la série est encore en cours aujourd’hui et compte pour l’heure une trentaine de volumes. Sa particularité ? Mélanger faits historiques, fiction et cuisine !

Le protagoniste, Ken, se réveille un jour en pleine campagne, dans le Japon du XVIe siècle. Ses seules certitudes : ne pas appartenir à cette époque et être cuisinier. Car si Ken ne se souvient d’abord pas de sa propre histoire, de son propre passé ou des circonstances qui l’ont conduit là, il possède des connaissances qui indiquent qu’il vient du futur : il connaît certains événements historiques qui vont arriver et est capable de cuisiner des plats qui ne seront inventés que bien plus tard au Japon (notamment parce qu’on ne dispose pas de tel ou tel ingrédient au XVIe siècle). Ce savoir précieux va aider Ken à survivre dans l’époque Sengoku, passablement troublée par des luttes entre différents seigneurs de guerre concurrents. En suivant ses aventures, on en apprend plus non seulement sur le passé du Japon, mais aussi sur l’évolution de son art culinaire et sur certaines recettes qui ont fait la renommée de sa cuisine. Vif, le dessin retranscrit l’action omniprésente qui rythme cette histoire, tout en offrant une grande richesse de détails – principalement dans le rendu des plats cuisinés par Ken (super appétissants, même en noir/blanc) et dans la finition des costumes des différents personnes que l’on rencontre. Voilà de quoi (presque) donner envie de remonter le temps soi-même !

Masayuki Kusumi et Jirô Taniguchi, Le Gourmet solitaire

« Si je veux du sucré, il me faut d’abord un pot-au-feu ou des nouilles udon en ragoût, ou même un riz assaisonné en cocotte. Je pourrai toujours prendre de ces haricots noirs sucrés en gelée comme dessert, puisqu’il paraît que c’est leur spécialité. » (p. 28)

Celui-là, c’est un petit chef-d’œuvre – un de ceux que vous êtes heureux d’avoir reçus en cadeau d’anniversaire, un de ceux que vous sortez souvent de votre bibliothèque pour les lire et les relire. À l’instar du Chef de Nobunaga, Le Gourmet solitaire est un seinen manga qui met à l’honneur la cuisine… mais dans un style très différent. Exit l’histoire, nous sommes dans le Japon contemporain, celui des années 1990 (à en juger par les costumes et les voitures). Nous suivons les pas d’un homme d’affaire, imaginé en 1997 par le scénariste Masayuki Kusumi) : il n’a pas de nom, un métier plutôt vague (il travaille dans l’import-export). Pourtant, deux de ses particularités donnent le titre à l’ouvrage : c’est un amoureux de bonne cuisine – mais qui ne se lie pas facilement aux autres. De lieu en lieu, de pauses-déjeuners en repas sur le pouce, nous le suivons dans ses déambulations culinaires – un peu à la manière d’un flâneur façon Baudelaire… sauf que là, il ne s’agit pas de spleen mais bien de nourriture.

Traduit pour la première fois en français en 2005, Le Gourmet solitaire a été réédité en 2013 chez Casterman, accompagné d’une petite notice du traducteur (Patrick Honnoré) et d’une postface du scénariste. Il se divise en dix-huit chapitres, qui sont autant d’occasions de découvrir un nouveau quartier (de Tôkyô, d’Ôsaka ou de Fujisawa) – que ce soit dans des zones résidentielles, industrielles, en plein centre-ville ou dans une rue touristique. Le protagoniste passe de restaurant en restaurant (boui-boui des san’ya, ces quartiers ouvriers où le sous-prolétariat survit comme il peut ; établissement familial ; à-emporter d’un centre commercial ; jolie petite pâtisserie traditionnelle, etc). On ne nous raconte pas grand-chose, juste des tranches de vie… mais ce qui compte, c’est l’articulation de chaque épisode autour d’une recette précise, commandée et dévorée par le héros après qu’il en ait donné une description précise (en mots comme en images). Et là, on salive : bol d’anguilles grillées sur du riz « unagi-don », beignets de poulpe « takoyaki », portion géante de nouilles et raviolis chinois frits… Comme le protagoniste, on appréciera d’autant mieux chacun de ces plats qu’on prendra le temps de le découvrir, de scruter la précision des dessins de Jirô Taniguchi, dont le style s’inspire des bandes-dessinées occidentales (en particulier les auteurices franco-belges). Il faut savoir savourer, sans précipitation et se laisser porter par une atmosphère toute en gourmandise et en nostalgie…

Ketsia Hasler et Déborah Maradan, Le Gâteau de l’amitié

« Lorsque les grands-parents des enfants étaient eux-mêmes des enfants, les habitants de Villarbois avaient une habitude originale. Bien avant Noël, le boulanger préparait une grosse pâte, la partageait en quatre parts, comme les quatre bougies de la couronne de l’Avent et les distribuait à quatre familles. » (p. 5)

Que faisaient ces familles ensuite ? Hé bien, elles s’occupaient de la pâte pendant quatre jours… avant de la séparer en quatre parts et d’en donner une partie à leurs voisins. « Ainsi, au soir du Réveillon, chaque famille avait un gâteau à déguster. » (p. 5) Cette tradition, comme l’apprennent les petits élèves de l’école de Villarbois, s’appelle tout simplement le Gâteau de l’amitié – une jolie manière de partager avant les fêtes ! Or, depuis la mort du boulanger, plus personne ne pratique cette tradition qu’il faudrait ressusciter. Les élèves vont aller interroger leurs grands-parents ; malheureusement, la recette qu’ils découvrent s’avère incomplète. Comment faire ? La Vieille Folle, celle qui vit à la lisière du village dans une sombre bâtisse, aura peut-être la solution…

Voici donc le début de l’histoire que construisent ensemble l’autrice Kestia Hasler et l’illustratrice Déborah Maradan. En leur compagnie, on découvre que les traditions, l’échange, les souvenirs et la chaleur humaine sont ce qui soude une communauté – que ce soit à l’échelle d’une famille, d’une classe ou d’un village tout entier. Et, cerise sur ce gâteau de l’amitié, on nous livre la recette afin qu’on puisse nous-mêmes l’essayer ! Miam ! Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’ai FAIM !

En attendant le prochain numéro de « Dans ma hotte à lecture »,
n’oubliez pas : lire, c’est bon pour la santé !

Magali Bossi

Références :

Mitsuru Nishimura et Takuro Kajikawa, Le Chef de Nobunaga, (30 vol.) Paris, Komikku éditions, 2014-2021.

Masayuki Kusumi et Jirô Taniguchi, Le Gourmet solitaire, (trad. Patrick Honnoré et Sahé Cibot=, Paris, Casterman, coll. Écritures, 2013, 199p.

Ketsia Hasler et Déborah Maradan, Le Gâteau de l’amitié, Romanens, Éditions Entreligne, 2022, 40p.

Photo : © Magali Bossi

[1] Si le monde du manga vous intéresse, je vous conseille la monographie suivante : Jean-Marie Buissou, Manga. Histoire et univers de la bande dessinée japonaise, Paris, Philippe Picquier, 2013.

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *