De la poétisation du passé : Réminiscences et Reviviscences de Ismaël Teta
Écrivain camerounais, Ismaël Teta a une prédilection pour la poésie. Ce sont deux de ces recueils, Réminiscences et Réviviscences, respectivement publiés en 2017 et 2022, qui retiennent aujourd’hui notre attention. Leur lecture simultanée éclaire d’une manière nouvelle l’œuvre d’un auteur qui se plaît à poétiser le passé.
« Vous avoir dans ma vie
Me fait tout conjuguer au plus-que-parfait
Dans votre diverse unicité,
Vous êtes toutes aussi(x) divines
Et assurez la répartition de mes partitions
Je vous aime trop, Vous me le rendez bien
Et que vous architecturiez
(In)volontairement ma vie
Me sied à souhait »
(Reviviscences, p. 9)
Chez Ismaël Teta, la poétisation passe par la sublimation du passé et l’aspiration à un monde sain, associée à un fond de nostalgie et de désespoir, mais aussi à l’attachement à une vision positive et optimiste de la vie, et à une continuité porteuse de valeurs. De fait, au travers de ses œuvres, le poète donne à apprécier sa capacité à traduire, les crises (sécuritaires, sanitaires, climatiques, politiques, hydriques, sociétales) et les aventures (amoureuses, touristiques, etc.) qui font et défont nos trajectoires sur cette planète.
Une écriture singulière à écho pluriel et résonnance universelle
Le pas poétique de Ismaël Téta est emmailloté de créativité et de zèle. Dans Réminiscences et Reviviscences, il entreprend ce qui nous apparaît comme le dépouillement d’une forte conscience affective. Les souvenirs qu’il évoque sont parfois touffus et confus, mais jamais éparpillés ; ce sont eux qui font et défont toute notre vie. La résurgence de certains ressouvenirs provoqués par des morceaux choisis d’expériences de la vie quotidienne (éventuellement professionnelle) et des rencontres vécues ou déjà vécues, qui reviennent à la mémoire et à l’esprit fortuitement ou volontairement. Et qui, tout en revisitant l’existence du sujet-humain en général (pas forcément Ismaël Teta, donc), invitent les lecteurs à adopter en toute subtilité une ouverte sur une démarche cosmopolite, qui transcende les cartographies particulières dans le but est de mieux ordonner et fertiliser nos trajectoires.
« Pour des frontières par “eux” tracées
Pour des religions par “eux” inventées
Pour des monnaies par “eux” frappées
Pour des valeurs par “eux” dictées/
Mama Africa telle une touriste ivre à Stockholm/
À Berlin ils se sont retrouvés »
(Reviviscences, p. 62-63)
L’écriture de Ismaël Teta suggère la lecture d’une forme poétique d’écriture de soi d’un Moi[1] dans toute sa transparence et dans toute son opacité. Et ce, non seulement pour laisser libre champ à la caricature d’une quête permanente et constante de « l’image du Bon/Mauvais Dieu » dans son parcours existentiel, mais également son désir d’embrasser l’inconnu – l’autre soi – sans « honte de [l’] aimer / Sans[le] connaître [et] / Sans[le] posséder ». Sous le préau du respect de sa vision du monde – car, « Même si j’en suis pas heureux, mon âme n’en est pas malheureuse » (Reminiscences, p. 41).
D’une part, on voit se dresser comme une réécriture-immortalisation des épreuves du temps d’un itinéraire singulier dont la résonance se voudrait objective et universelle. D’autre part, le rendu de la somme des expériences du passé survit dans le présent, en même temps que les expériences présentes vivent avec les empreintes et les traces du passé. Sans faille aucune. Ce paradigme pose d’emblée l’objet de cet opuscule comme le tremplin du décryptage des amours-désamours, des joies, des peines et des errances d’une âme humaniste : « Libre de connaître d’autres hommes / [et] Libre de connaître d’autres femmes. »
Heureux qui comme Ismaël Teta… avance en regardant sa vie !
En constant mouvement dans sa vie et dans le monde, le poète Ismaël Teta se sert de l’écriture pour transmettre sa part de bienveillance, de générosité, de regret, de désespoir, d’espoir, d’insouciance, de reconnaissance, de gratitude. Non pas en pédagogue, mais à la manière d’Ulysse qui, en quête de lui et du monde à partir de sa propre trajectoire, souhaite le bien des humains et du monde lequel ils vivent sans faire attention à rien. D’ailleurs, dans Reviviscences Teta affirme, péremptoire : « Tous les Saints le savent, les pêcheurs aussi » (p. 62).
Il construit constamment un mécanisme d’auto-reviviscence où, à partir de notre passé, nos souvenirs et nos traces aidant, nous travaillons à ordonner, téméraires, notre avenir jour après jour. Dans ce sens, les poèmes d’Ismaël se posent comme la solide passerelle qui nous permet de marquer une pause, au prisme de nos rencontres, de nos expériences et de nos échanges qui vivent et survivent les uns dans les autres. Le but ultime d’une pareille démarche étant de regarder nos vies, comme dans une glace mais sans narcissisme, afin de s’autoévaluer et de se projeter avec beaucoup d’optimisme vers un avenir de plus en plus incertain, en un siècle viscéralement brutal et marqué par les violences généralisées.
« Le pire voyage de ma vie de voyage
Est sans doute celui en Gerontoartique
Pays de mon passé… et de son futur ?
Ou un ponte somnambule et filicide
Répand les Plaies à travers sa patrie/
J’ai pris le vol
Pour ne pas que mon fils pensât que son père lisait le futur »
(Reviviscence, p.94-95)
Baltazar Atangana
References:
Ismaël Teta, Réminiscences, Berlin, Afrolivresque, 2018.
Ismaël Teta, Reviviscences, Berlin, Afrolivresque, 2022.
Photos : © Afrolivresque éditions (photos couverture) et Vital Bindeki (photo auteur)
[1] Allusion faite au poète, car son écriture n’est nullement autobiographique, même si par endroit certaines références topographiques coïncident avec certains lieux qu’il a fréquentés.