Les réverbères : arts vivants

Droit dans le mur

Jusqu’au 29 janvier, au Théâtre des Grottes, le prolifique auteur et acteur Richard Gauteron se met en scène dans une adaptation originale des aventures de Don Quichotte, Miroirs et reflets, avec la complicité du débonnaire Jef Saintmartin et de l’enjouée Giovanna Anna Gambuzza.

Gérard (Richard Gauteron) est un vieux directeur de théâtre ruiné, flirtant avec la folie pour fuir la réalité. Il rêve de réussir sa sortie en adaptant le roman de Cervantes sur les planches. Le concierge du lieu, le bien nommé Sanches (Jef Saintmartin) ainsi que la mutique femme de ménage (Giovanna Anna Gambuzza) deviendront alors malgré eux Sancho Pança et Dulcinée, les acolytes de ce Don Quichotte deséspéré qui file vers son destin comme on fonce dans le mur.

Intelligente mise en abîme, le texte de ce spectacle a d’ailleurs initialement été écrit pour un vrai directeur de théâtre, Pierre Nicole. Dirigeant jadis, avec sa femme Colette, le théâtre Le Colombier du côté de Toulouse, notre hidalgo avait passé commande à Richard Gauteron d’une écriture originale contant les aventures du chevalier à la triste figure. La création a eu lieu entre le Sud de la France et Genève il y a une petite quinzaine d’années avec un succès mérité. Aujourd’hui, Pierre Nicole – 85 ans et toujours un grain de folie venant de La Mancha – est du côté du public pour applaudir son auteur qui essaie à son tour de perpétuer l’esprit de ce héros médiéval si moderne. Show must go on.

La comparaison entre les deux productions était inévitable. C’est d’ailleurs parce qu’on a tant aimé la version originale qu’on y revient. Là où Pierre Nicole campait un personnage poétiquement désespéré à la mélancolie toute britannique, le Quichotte de Gauteron dépense une énergie burlesque à se débattre dans sa vie et sur scène comme le nageur pris de panique à l’idée de se noyer. L’alter ego et souffre-douleur Sancho Pança est quant à lui judicieusement distribué dans les deux versions. Jean-Marc Morel en 2009 comme Jef Saintmartin aujourd’hui ont en effet « les gueules » et le talent de l’emploi. Quant au rôle de Dulcinée, la pétillante Giovanna Anna Gambuzza marche dans d’illustres traces artistiques, celles de Bérangère Mastrangelo…

La barre était donc placée (trop ?) haut pour faire revivre ce savant jeu de miroirs entre le héros du XVIIème siècle et les déboires d’un comédien actuel en fin de parcours. Le parallélisme entre les personnages de Cervantes et ceux de cette adaptation assure pourtant un théâtre dans le théâtre qui fait toute l’originalité du propos. La pathétique fuite en avant de Gérard contrebalance avec le dessein déraisonné d’un coup de théâtre qui ressemble à une partie de poker. On sent bien que la partie est perdue d’avance si ce n’est que le regard amouraché de la femme de ménage va lui permettre d’y croire encore un peu… La comédie valse ainsi entre exaltation et mélancolie et permet différents excès comme autant de tableaux contrastés.

La bonne idée du début du spectacle est de faire commencer celui-ci dans le foyer du théâtre des Grottes. Nos trois compères installent ainsi une proximité bienvenue avec le public. On comprend alors très vite que Gérard est perdu entre son monde imaginaire et l’évitement des réalités matérielles d’ici-bas. Arrivés sur scène, dans un décor de bric et de broc, l’évidence s’impose : nous assistons au crépuscule du rêve de petites gens qui ont espéré – le lot de tant d’artistes… – sortir du rang pour briller de mille feux. C’est d’ailleurs ce que Gérard n’aura de cesse de promettre à un Sanches inteprêté avec beaucoup d’humanité par un Jef Saintmartin « trop bon, trop con ». La fermeture du théâtre semble imminente, il n’y a plus grand-chose à sauver, et pourtant il reste fidèle à son patron, pris lui aussi par ce désir irrépréssible d’un absolu qui changerait nos vies du tout au tout… Ah, utopie quand tu nous tiens.

La succession des scènes entrecoupées de noirs musicaux permet alors de passer en revue différents épisodes des fabulations de Don Quichotte. Ceux-ci résonnent étonnamment avec ce que vivent Gérard et Sanches en espérant que la projection narcissique n’ira pas jusqu’à atteindre Richard et Jef… On peut regretter un manque d’audace dans le classicisme de la mise en scène ainsi qu’un côté grotesque un peu trop poussé dans certains partis pris du jeu du personnage principal. Il y a ci et là un faux rythme et un manque de précision qui piquent un peu. Aussi, pourquoi ne pas avoir bruité en direct les chutes de décor et d’accessoires en coulisses ? Ces bémols sont toutefois nuancés par des moments plus réussis comme le travail des ombres chinoises, la belle déclaration d’amour à Dulcinée dans la Sierra Morena ou les passages plus sobres qui donnent de l’épaisseur à la trajectoire de ces troubadours naufragés.

Au final, cette fiction bouffone nous rejoue la carte de l’espoir envers et contre tout comme une échappatoire à la dureté de la vie, cette petite lumière au bout du tunnel… mais peut-être n’est-ce qu’un train qui arrive…

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

Don Quichotte, miroirs et reflets, de Richard Gauteron, au Théâtre des Grottes, du 20 au 29 janvier 2023

Avec Richard Gauteron, Jef Saintmartin et Giovanna Anna Gambuzza

https://www.geneve.ch/fr/agenda/quichotte-miroir-reflets

Photos : © Corinne Luna Fantini

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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