Les réverbères : arts vivants

Entre plumage et voyage : L’Assemblée des oiseaux au Galpon

Jusqu’au 11 novembre, le Galpon délaisse la grisaille de l’automne pour des plumages aux couleurs chatoyantes. Étendez vos ailes et découvrez L’Assemblée des oiseaux, un conte initiatique d’après l’œuvre du poète perse Farid Al-ddin Attar.

« Un jour tous les oiseaux du monde, ceux qui sont connus et ceux qui sont inconnus, se réunirent en une grande conférence. »[1] Autour de la Huppe, la plus sage, ils s’assemblent dans un brouhaha : pépiements, caquètements, sifflements se mêlent à la rythmique lancinante de la percussion, aux notes étranges du piano… À ces oiseaux, la Huppe va proposer le plus dangereux des voyages.

« Chers oiseaux, je passe mes jours dans l’anxiété. Je ne vois parmi nous que querelles et batailles, pour une parcelle de territoire, pour quelques grains de blé. Cet état des choses ne peut pas durer. […] Écoutez-moi. Nous avons un roi. Il nous faut partir à sa recherche. Sinon, nous sommes perdus. » (pp.19-20)

Ce roi, c’est le Simorg, oiseau fabuleux qui vit par-delà le Mont Câf. Comment l’atteindre ? En voyageant, plus loin et plus longtemps qu’ils ne l’ont jamais fait. Cette proposition jette les oiseaux dans l’indécision. Comment pourraient-ils partir ? Il y a le Moineau, enthousiaste mais si faible… le Paon, seigneur exilé loin de son royaume… le Faucon au maintien militaire, qui se plaît à servir les rois… la Perdrix, mordue de pierres précieuses… le Canard snob, dont la vie est dans l’eau… la Perruche, enfermée dans sa cage… et le Rossignol, amoureux d’une rose. Chacun a de bonnes raisons pour rester. Mais la Huppe finira par les décider. Ils s’envolent. Ils traverseront un désert, croiseront des personnages étonnants avant d’arriver devant sept vallées. Chacune recèle un mystère, chacune recèle un danger. Ce n’est qu’après qu’ils parviendront devant le Simorg… qui n’est pas celui qu’il semble être.

Un conte initiatique

L’Assemblée des oiseaux (ou Manteq Ol-Teyr) est une œuvre intemporelle, écrite au XIIe siècle par le poète persan Farid Al-ddin Attar. Elle se construit comme un conte – mais un conte complexe aux niveaux multiples, au texte exigeant. À l’histoire principale (le voyage des oiseaux) se mêlent des histoires secondaires, comme le récit du Fossoyeur ou celui de l’Ermite, l’allégorie des papillons et de la bougie. La Huppe prend en charge le récit, à la fois narratrice et personnage. Elle dialogue avec les autres oiseaux, dans des échanges aux consonances philosophiques. C’est un voyage au bout de soi-même : une fois vaincues les résistances premières, les épreuves de la route poussent à se dépasser. Guidés par la Huppe, tous affrontent des dangers qui mettent en péril leur corps et leur esprit. Pour arriver où ?

Entre texte et musique

Sous la direction de Gabriel Alvarez, le texte d’Attar revêt une dimension psalmodique : tantôt lente, tantôt rapide, la déclamation est ample et un peu solennelle. Chez le Canard, elle évoque la préciosité ; chez le Paon, l’aristocratie. La Huppe a la voix du sage mais, quand elle devient narratrice de sa propre histoire, elle replonge dans le ton du conte, celui qu’on prend pour parler aux enfants. L’ampleur sonore ainsi donnée aux phrases fait résonner un texte souvent ardu, où les phrases sont longues et où les réponses n’éclairent pas toujours les questions. Il faut de l’attention, de la concentration, une participation active du spectateur pour saisir les modulations de L’Assemblée des oiseaux. Cette scansion particulière est sous-tendue par un habillage musical discret : percussions (dont de très beaux passages au vibraphone), piano, chant… les notes et les rythmes forment un arrière-plan onirique, comme un tapis persan aux motifs entremêlés. Sans révéler le sens du texte, ils lui donnent une dimension nouvelle, plus organique, plus intérieure.

Du geste aux costumes

Cette dimension organique se retrouve dans les attitudes des oiseaux. Les comédiens endossent leurs plumes avec une facilité déconcertante : ils agitent des ailes, claquent du bec, engagent tout leur corps dans cette transformation. La première partie les voit adopter un langage et des attitudes hybrides, tandis que la Huppe expose son idée. Sont-ils humains, animaux ? Ils sont au-delà, car ils appartiennent à une quête universelle dans laquelle personnages et public sont embarqués : celle du dépassement. Avant de partir à la recherche du Simorg, leurs plumages sont chatoyants – ce qui se ressent dans les costumes. Les détails des vêtements évoquent les caractéristiques de chaque oiseau : la jupe de la Perruche est une cage ; le pourpoint du Faucon lui donne une allure soldatesque ; le Moineau est hirsute, avec des lunettes d’aviateur ; les fronces de la robe du Rossignol ressemblent à des pétales de rose… Puis, tandis qu’ils se dépouillent de ce qui comptait pour eux afin de commencer leur quête, ils perdent leurs caractères. Ils deviennent des errants, dans des habits amples qui ne gardent que quelques touches de couleurs – quelques plumes qui rappellent ce qu’ils étaient avant. Entre leurs mains s’agitent des éventails, métaphores des ailes qu’ils étendent pour voler vers le Simorg…

Pour bien parler de L’Assemblée des oiseaux, il faudrait encore évoquer la place réservée aux lumières, qui transportent les différents tableaux dans un univers imaginaire, entre rêve et cauchemar. Il faudrait parler du plateau, où une plateforme en tourbillon est posée au milieu d’une mer de copeaux brillants. Pour moi, cette plateforme a évoqué la construction même de L’Assemblée des oiseaux : une histoire qui propose un voyage, un chemin qu’il faut suivre (la plateforme), sur lequel il est facile de s’égarer (la mer de copeaux). Avec sa forme en tourbillon, la plateforme symbolise l’enroulement du conte sur lui-même : on cherche le Simorg, on vainc des obstacles – mais au final, que trouve-t-on vraiment ?

Pour le découvrir, rendez-vous au Galpon.

Magali Bossi

Infos :

Mantik at-Tayr / L’Assemblée des Oiseaux de Farid Uddin Attar, du 1er au 11 novembre 2018 au Théâtre du Galpon

Direction artistique : Gabriel Alvarez

Jeu : Clara Brancorsini, Marie Brugière, Alexandra Gentile, Marcin Habela, Tara Macris, Lionel Perrinjaquet, Justine Ruchat, Solange Schifferdecker

https://galpon.ch/spectacle/mantik-at-tayr-ou-lassemblee-des-oiseaux/

Photo : © Elisa Murcia Artengo

[1] Jean-Claude Carrière, La Conférence des oiseaux, Paris, Albin Michel, [1979] 2008, p. 19. Jouée pour la première fois à Avignon le 15 juillet 1979. La pièce a été adaptée du poème de Farid Al-ddin Attar par Jean-Claude Carrière. L’ensemble des citations est tiré de cette édition.

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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