Les réverbères : arts vivants

Raoul, le tisserand d’aventures

Il roule avec les vagues s’échouant sur son île et s’envole au gré des coups de vents qu’elles amènent. James Thierrée, dans la peau d’un Robinson acrobate, est sédentaire mais nomade dans ses mouvements. Il est Raoul du 6 au 16 novembre au Théâtre de Carouge.

Raoul convainquit et convaincra les infidèles au Parnasse, ceux qui mettent en doute l’existence imperturbable de la poésie. Les évènements s’enchainent rapidement sur scène, et avec eux les soupirs d’extase, de surprise, de peur parfois pour Raoul qui nous fait vivre l’aventure sous toutes ses formes. Les mélodies de Haendel font ressurgir l’épopée de Barry Lyndon, conférant à la pièce une teneur à la fois combative et arbitraire, comme si Raoul était, sans relâche, aux prises avec les éléments naturels.

Deux mots de l’intrigue

Avec Raoul, on évoque les îles, Robinson et le vent. Sa grande cabane aux parois de tôle, maintenues solidaires par de vieilles fripes et des cordes ramassées sur le rivage, n’est en fait qu’une porte ouverte sur la mer où le tout-repos n’existe pas. Raoul est un homme palpitant, pour qui l’immobilité n’habite aucun concept. Il fait corps avec la nature vivante s’exposant autour de lui. L’air, le tonnerre ou les oiseaux l’affectent. Il se met alors à trembler, à imiter ou à sauter très haut ; s’il faut, il devient singe ou aboie comme si son environnement lui dictait ses attitudes. Elles sont plurielles car Raoul est en perpétuel mouvement, et même, on pourrait affirmer qu’il en génère l’intensité.

La présentation de l’énergie

Quelques grognements ou poussées de joies accompagnent les multiples gestes du comédien, doté d’une souplesse et d’une faculté de mime frappantes. Les catégories fusionnent, il est à la fois excellent danseur puis clown hors-pair, et enfin marionnette au grand pouvoir d’évocation. Il met en jeu des impulsions qui à elles seules, racontent ce qu’il traverse. Il évoque l’effroi lorsqu’il croise la route d’énormes créatures sous-marines, bondit contre les parois lorsqu’il se sent attaqué, il entre et sort de son bidon, s’agrippe à son arrosoir … Le rythme plaît beaucoup, on se prend à rire devant ce très habile hyperactif. Le théâtre, sous cette forme, plaît au plus grand nombre, impressionné par les facultés illimitées de ce corps qui pourrait être le leur.

L’imagination ou la barbe à papa

Le spectacle de Thierrée s’apparente d’avantage à l’expression d’une force qu’à une fable ou au déroulement d’une action. Il rappelle à quel point il peut sembler vain d’additionner les évènements, les histoires ou les activités pour former un ensemble cohérent ; en somme, il suffit de très peu de matière pour donner vie à un espace, qu’il s’agisse d’une scène ou du quotidien. Raoul se rapprocherait d’ailleurs, dans le domaine hors-scène, du faiseur de barbes à papa qui, d’une poignée de sucre rose, crée des formes incroyables, relie les différentes couches et nourrit la bouche gourmande, tout cela sans oublier la magie d’un savoir-faire à peine explicable.

Ce pouvoir du chétif va de pair avec la poésie du spectacle. Raoul ne cesse de convoquer notre imaginaire en faisant intervenir des créatures telles qu’elles pourraient hanter nos rêves. Dans leurs confrontations avec Raoul, elles symbolisent la compagnie, le pardon, l’amour : tout lien mettant un terme à sa solitude. Et notre imagination ne chôme pas ! Raoul incarne la représentation de l’homme heureux dont la maison s’effondre en un coup de vent sans pensée aucune pour ce qui était à l’intérieur. Il est aussi celui qui, marqué par l’intranquillité, remplit ses secondes d’existence en toute hâte et frappe le silence pour qu’il ne survienne pas.

La double-noyade

Peut-être est-ce la taille de la nouvelle Cuisine du Théâtre de Carouge ? En tous les cas, le spectacle nous happe, nous montre un personnage fondu dans le décor et qui, en même temps, perd pied, ne s’arrête jamais. Raoul nous présente sa définition de l’aventure, à nous de trouver celle qui nous convient.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Raoul, du 6 au 16 novembre à La Cuisine, Théâtre de Carouge.

http://tcag.ch/saison/piece/raoul/50/

Mise en scène et interprétation : James Thierrée

Photos : ©Richard Haughton

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

2 réflexions sur “Raoul, le tisserand d’aventures

  • Ping : Un menu… à tomber par terre – La Pépinière

  • francesco

    oui … immense poésie, ça c’est sûr. mais aussi personnage hyperactif, comme tu l’as écrit laure-elie. alors moi parfois je me suis mis à espérer que james thierrée s’arrête de « faire » pour simplement « être ». cette création super originale et d’une grande richesse manque pour moi de moments d’arrêt, de respiration, de moments où le personnage savoure et du coup, nous aussi. tout va trop vite, un grand zapping permanent.

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