La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 28

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 28 : L’étau se resserre

Rue Etienne Dumont.

Le 11 décembre, 12h22.

Miss Apfel sort en tout hâte de chez elle, laissant sa nièce se remettre de ses émotions. Le temps est plus que compté et, après ce que Heidi lui a raconté, elle doit à tout prix trouver des indices sur ce groupe mystérieux des Adorateurs de l’Escalade. Ce nom ne lui est pas totalement inconnu et il éveille quelque chose de particulier en elle… mais quoi ? C’est un sentiment bizarre et difficile à identifier, pourtant, à l’évocation de ce mot par sa nièce, Simone a senti un goût âpre dans sa bouche. Lorsque cela lui arrive, ce qui est très rare, cela signifie que son corps essaie de faire remonter à la surface un souvenir lointain, égaré dans les dendrites de son cerveau.

Elle doit être certaine qu’elle n’omet aucun détail, et suivre son intuition comme à chaque fois. C’est pourquoi elle décide de passer rapidement par la Place du Bourg-de-Four, chez Ferdinand, pour aller fouiller ses vieilles archives du temps de Burnier. Ferdinand est cafetier et lui alloue un petit emplacement dans sa cave où il lui laisse entasser des papiers et des babioles. Une fois par mois, elle vient dans son café avec quelques amis, pour manger et pouvoir ainsi lui redonner la pareille. C’est le compromis idéal pour pouvoir mettre à l’abri des éléments sensibles, en toute discrétion. Les Adorateurs de l’Escalade… ce nom de groupe lui dit vraiment quelque chose, mais impossible pour l’instant de créer un parallèle. Fichtre ! Elle trouvera forcément un détail qui puisse faire la connexion qui lui manque…il le faut !

*

Bureau de Géraldine Mercet, Université de Lausanne, Ecublens.

Le 11 décembre, 11h50 du matin.

Ses lunettes carrées bien en place, un bout de crayon dans sa bouche, Géraldine dandine des fesses, installée à sa table haute. Cela lui permet de ne pas se raidir durant les longues journées d’analyse et de réflexion. Généralement, elle met « La flûte enchantée » dans ses oreilles et écoute en boucle l’air de la Reine de la Nuit. Son corps est à chaque fois parcouru de frissons et se met à vaciller, pris par des soubresauts obscurs ; ensuite ses idées deviennent de minutes en minutes de plus en plus limpides et les morceaux du puzzle s’imbriquent alors naturellement. Elle se met d’elle-même volontairement dans cet état au commencement de la nuit, et surtout lorsque c’est la pleine lune. Son père, astrophysicien de formation, lui a enseigné ce lâcher-prise et ces petites manies de génie fonctionnent à merveille sur son cerveau.

D’ordinaire, lorsqu’elle commence à se mettre en condition de travail, elle va chercher une boîte métallique dans laquelle se trouvent des friandises : du chocolat au piment (son préféré), des cacahuètes, des cachous et des massepains. Elle les aime tous, sauf ceux en forme de carotte. Cela remonte à une vieille histoire d’amour compliquée qu’elle préfère oublier. Dès lors, à chaque fois que Géraldine a passé la nuit à travailler, les lendemains matin, la poubelle trahit des cadavres de carottes séchées au milieu des mouchoirs et des traces de sang…

Cela fait à présent quelques minutes qu’elle est assise sur son tabouret en résine tressée, sous le choc de ce qu’elle vient d’apprendre. Elle a reçu un coup de téléphone du laboratoire d’analyse, qui lui a communiqué la fragrance isolée dans les échantillons de carottes en massepain. L’arôme en question a miraculeusement pu être identifié grâce à l’erreur d’un stagiaire, durant la phase d’analyse par chromatographie liquide à haute pression (CLHP). Ce procédé se déroule normalement par le passage d’un solvant à travers l’échantillon, puis par l’élution de ce mélange dans une colonne chromatographique. Les composés séparés sont ensuite identifiés par un détecteur. Le tout est alors géré presqu’automatiquement par informatique. Le stagiaire en question s’est malencontreusement trompé de commande et a laissé plus longtemps que nécessaire le composé « mijoter ». Les professionnels du laboratoire étaient aussi sceptiques que Géraldine sur un possible résultat, mais le fait que le stagiaire ait laissé tourner la machine plus que nécessaire a permis « d’essorer » le massepain jusqu’à la dernière miette ! Et là, les résultats sont unanimes : il y a de la résine de cannabis à l’intérieur !

*

Archives d’État de Genève, rue de l’Hôtel-de-Ville 1.

                                                                                                      Le 11 décembre à 12h26.

Ferdinand a dû s’absenter pour une petite heure. Elle repassera plus tard et décide d’embrayer directement aux Archives d’État.

Elle monte le petit escalier qui mène à la salle des archives, en s’attendant à trouver derrière le comptoir de l’accueil l’archiviste de la dernière fois – Cathy Piaget, si sa mémoire est bonne. Pourtant, même si les lumières sont allumées et qu’elle entend du bruit au loin, le bureau semble désert. L’ordinateur est néanmoins enclenché, car elle entend le ronronnement de la tour. Miss Apfel est vraiment pressée et n’a pas envie d’attendre trop longtemps. Après quelques secondes qui lui paraissent être une éternité, elle décide de faire une recherche elle-même, sur le poste informatique de l’accueil. Après tout, elle connaît bien la maison. Elle prend place dans le fauteuil ergonomique en mousse et agite la souris de sa main droite. L’écran éclaire le visage de l’ancienne archiviste, de sa lumière bleue. Quelle veine ! L’ordinateur n’est même pas verrouillé par un mot de passe. Mais avant même qu’elle ait eu le temps d’ouvrir le logiciel spécialisé pour les recherches détaillées, elle surprend dans le coin du bureau de l’ordinateur, tout en haut à droite, une toute petite icone de couleur orange… en forme de carotte. Elle n’a jamais vu ça. Peut-être est-ce un nouvel outil informatique destiné à l’administration ? Son cœur se met à battre de manière plus intense et elle sait qu’il y a là un indice de taille non négligeable qu’il faut absolument ne pas laisser passer. Elle est sur le point d’assouvir sa surexcitation grandissante quand elle entend des bruits de talons se rapprocher avec rapidité.

Les pas se rapprochaient inexorablement.

« VOUS DÉSIREZ ? » hurle Cathy Piaget de sa voix aigrelette, essoufflée.

Miss Apfel sursaute à la suite d’une montée d’adrénaline, à demi-rassasiée, et un sentiment particulier d’avoir été prise en faute. Elle a juste eu le temps de sauter du fauteuil et de se hisser devant le comptoir. Il va falloir la jouer intelligemment sans faire naître des soupçons, car Simone a du flair : cette carotte, ça sent la purée à plein nez ! Et cette Cathy trahit un comportement bizarre. Sa tenue est toujours aussi décalée et anachronique que la première fois que Miss Apfel l’a vue. Pire : on dirait qu’elle s’est habillée à la hâte. Des mèches de cheveux rebelles stagnent sur son front ruisselant, comme si elle avait couru pour arriver à l’heure. Sa tresse est défaite. Cela ne ressemble pas à la tenue impeccable de la fois passée… Miss Apfel enclenche le mode « très agréable » et commence sa prose suave.

«  Bonjour. Je suis venue la dernière fois avec ma nièce qui n’a ma-lheu-reu-se-ment pas pu m’accompagner aujourd’hui, car elle travaille beaucoup. Grâce aux dernières informations que vous nous avez communiquées, elle a obtenu une ex-cel-lente note à son devoir. Je voulais vous remercier in-fi-ni-ment ! »

L’archiviste, qui ne s’attendait pas à recevoir des éloges, se calme instantanément et répond de sa voix aigrelette :

« Oh, mais je vous remercie. Ça me fait plaisir et vous savez, c’est un peu mon métier. »

« C’est un métier pa-ssio-nnant », badigeonne Miss Apfel en rajoutant : « toutefois, ma nièce est un peu tête en l’air, vous savez comment sont les adolescents aujourd’hui, et elle a besoin d’avoir des informations en vue de rejoindre la Compagnie 1602.»

« … »

Cathy Piaget semble prise au dépourvu l’instant d’une seconde, réajuste ses lunettes machinalement pour gagner du temps, et interroge sa cliente :

« Pouvez-vous être plus précise dans la recherche que vous souhaitez que j’effectue, je vous prie ? »

« Ma nièce est très intéressée par l’histoire de sa ville, et l’histoire et la géographie, ce sont vraiment ses matières fa-vo-rites ! Et en plus elle a-do-re pratiquer l’escalade à ses heures perdues, si ce n’est pas drôle ! »

L’archiviste se détend en entendant les jeux de mots de Miss Apfel, qu’elle trouve tout de même un peu sotte.

« Bien sûr, je vais voir ce que je trouve dans le logiciel. Une petite minute et je vais vous sortir ce qu’il vous faut pour entrer au mieux dans le cercle de la Compagnie 1602. »

En tapotant sur le clavier de son ordinateur, Cathy Piaget se retrouve dans son univers, dans son monde. Elle est absorbée par ses lignes de lettres, où des informations essentielles aimantent des serveurs jour et nuit. Cela l’a toujours fascinée. Quand elle se lance dans une recherche, elle perd la notion du temps et de l’espace durant une fraction de seconde. Mais cette fois, la fatigue a raison de sa lutte, de son combat, et cette minute d’inattention lui fait perdre la raison. Elle plonge machinalement sa main sous son pull col roulé vert, pour toucher son pendentif. Le contact avec cette pierre la rassure. La citrine brille avec la lumière du néon placé juste au-dessus de sa tête et éblouit l’œil aguerri de Miss Apfel, qui n’en croit pas ses yeux. Une carotte-bijou… voilà qui est intéressant ! Mais l’enquêtrice reste de marbre face à cette découverte, jusqu’à ce que Cathy se tourne vers elle :

« Ça y est j’ai trouvé des choses intéressantes ! » s’exclame Cathy.

*

Café Remor, Place du Cirque 3.

Le 11 décembre, 22h37.

Les derniers clients viennent de s’installer à la petite table, juste en face de la baie vitrée qui donne sur la Place du Cirque. C’est un jeune couple qui sort d’une représentation théâtrale dans la salle de La Comédie. Ils sont joyeux et ont tous les deux très faim.

Monsieur Joseph a hâte de terminer ce deuxième service de la soirée pour rentrer chez lui, car il a commencé il y a peu une toute nouvelle maquette en balsa. Il l’a dénichée dans une brocante que seuls les véritables adeptes connaissent ! La soixantaine bien tassée, Monsieur Joseph s’est fait, au fil des années, une véritable place dans la restauration. Au départ, c’était pourtant plutôt mal parti, mais il n’a pas lâché l’affaire et s’est battu toute sa vie pour que son affaire tourne. Cela lui rapporte pas mal et il n’a dorénavant plus vraiment de soucis à se faire. Son fils et sa fille reprendront le flambeau lorsqu’il décidera de savourer sa retraite pour enfin voyager et profiter de vraies vacances. Dans ce métier, il ne vaut mieux pas trop y songer ! Comme il est d’humeur plutôt joviale, ce soir, il s’est vêtu d’un veston de type western sans manche, couleur châtaigne. Cela lui tombe plutôt bien, avec son pantalon en lin dont les ourlets ont été légèrement retroussés. Sa barbe grisonnante est en accord avec sa chevelure abondante et bouclée. Les renflements sous sa chemise laissent deviner un embonpoint certain, dont il sait user pour faire opérer de son charme. Et cela fonctionne presque à chaque fois ! Sa chemise légèrement ouverte laisse apparaître les poils de son torse.

Dehors le froid est glacial et le vent balaie tout ce qu’il trouve sur son passage. Ce n’est vraiment pas un temps à lire sur un banc en plein parc. Et pourtant, il y a dix ans de cela, presque jour pour jour, un vieil ami lui a juré de transmettre un secret à sa fille. C’était sur un banc du parc des Bastions, juste devant l’Université. Il s’en souvient comme si c’était hier. Après la mort de Burnier, Cathy n’avait pas attendu pour le contacter. Ils s’étaient rencontrés deux mois plus tard, et Monsieur Joseph avait pu raconter à la jeune femme qui était vraiment son père et ce que l’Ordre lui avait apporté, à quel point cela avait tout changé pour lui – pour eux tous.

Aujourd’hui, il l’attend car ils ont rendez-vous. Il espère qu’elle ne sera pas en retard comme à l’accoutumée, car il n’a vraiment pas envie de traîner. Dans un peu moins de deux heures, il ferme le bistro. Il fera les comptes demain, à la lumière du jour. Alors qu’il se débat avec le commis et le cuisinier pour honorer les commandes de dernières minutes avant que la cuisine ne ferme, son apprenti vient le chercher à tout hâte. Une jeune femme désire le rencontrer. Elle veut parler à Monsieur Joseph. Un sourire illumine son visage et il se détend. Il dénoue les lanières de son tablier, le suspend à son crochet machinalement et rejoint la salle principale.

C’est tout naturellement que Cathy Piaget s’est installée au bar, préférant les grands espaces. Hors de sa tanière au bureau des Archives, elle est une toute autre femme. Elle porte une perruque aux cheveux noirs coupés au carré. Elle trouve que cela fait plus chic, que cela lui donne du mordant. Pour cette occasion un peu particulière, elle porte une jupe mi-longue noire, simple et élégante. Son chemisier en satin vert pistache qu’elle s’est acheté hier dans une boutique du centre-ville lui tombe à merveille et fait un joli rappel avec son large foulard en bandeau. Elle a commandé une bière brune avec un léger arôme d’épices et de réglisse aux amertumes persistantes. Tout ce dont elle raffole.

Autour de son cou, le pendentif de citrine repose sur sa poitrine : une minuscule carotte, taillée avec soin et rehaussée d’une feuille en émeraude…

Muriel Kritter

La suite, c’est par ICI !

Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !

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Photo : © Tama66

Une réflexion sur “Et la Marmite se brisa : épisode 28

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