Et vous, vous ferez quoi Quand viendra la vague ?
Cette fois, ça y est, la vague arrive au Grütli. Pour celles et ceux qui demeureront sur les parties émergées de la Terre, le temps est venu de faire des choix. Mais rien n’est simple là-dedans. C’est à voir aux Scènes du Grütli, jusqu’au 8 février, dans une mise en scène de Lefki Papachrysostomou.
En entrant dans la salle, nous sommes accueilli·e·s par deux jeunes musicien·ne·s : Tess Giordano et Léon Boesch se tiennent sur une sorte de promontoire, à cour, avec leur guitare à la main. Dans leur chanson, il est question de plage, de mer, d’avenir. On le comprend vite, ils sont l’avenir, ceux qui vivront encore demain. Le duo prend aussi la place de narrateur pour introduire cette histoire. Ils laissent rapidement place au couple composé de Matteo (Simon Labarrière) et Letizia (Verena Lopes), au sommet de leur montagne. Quand viendra la vague, c’est un des seuls lieux où l’on pourra se réfugier. Alors, le couple joue pour savoir qui sauver, parmi les humains et les animaux. Bien vite, de gros désaccords apparaissent. L’arrivée d’un mouflon (Laurent Annoni) et l’urgence face à cette crise pourraient bien tout changer…
Crise de couple, crise planétaire
Dans cette pièce, on est d’abord surpris·e par l’humour et le second degré qui se dégagent, alors qu’on assiste à un spectacle pré-apocalyptique. Il y a, bien sûr, le jeu de nos deux protagonistes, auquel on se prend, alors qu’ils jouent des rôles, s’imaginent une forme de tribunal pour juger qui sauver ou non. Comme cette camarade de classe de Letizia qui s’était moquée d’elle parce qu’elle avait ses règles ; ou le patron de la pizzeria où travaillait Matteo et qui maltraitait ses employés… Les personnages qu’ils interprètent sont parfois caricaturaux, à l’image du promoteur immobilier irrévérencieux et qui se croit au-dessus de tout ; et les perruques grotesques qui les symbolisent apportent un décalage comique bienvenu à une situation pourtant tragique. On est aussi étonné·e des allusions inattendues dans le texte d’Alice Zeniter, comme quand Matteo évoque Poutine ou… Diam’s ! Mais ne comptez pas sur moi pour vous dire quel rôle jouent ces deux-là. Si ce ton en décalage fonctionne aussi bien, c’est en grande partie grâce à l’impeccable complicité entre Verena Lopes et Simon Labarrière, qui proposent un jeu tout en nuances, afin d’amorcer cette bascule nécessaire vers un changement de ton.
Car la légèreté apparente de leur jeu fait petit à petit place au tragique, et à cette crise planétaire qui se rapproche. Celle que traverse le couple n’est pas à négliger non plus. Alors que Matteo voudrait faire table rase, en laissant couler tous les humains qui ont failli, en sauvant les animaux innocents et en reconstruisant avec celle qui l’aime, cette dernière imagine tout le contraire. Profondément humaniste, elle veut donner une autre chance à tout le monde, en s’appuyant sur les qualités de chacun·e pour tout reconstruire, après la vague. Ce qui les lie, malgré tout, c’est ce sentiment universel qu’est l’amour. Celui qu’ils éprouvent entre eux, mais aussi dans cette croyance qu’il peut y avoir un après. Et l’on serait bien emprunté·e de prendre un parti plutôt que l’autre, tant il est impossible de trancher. La solution serait-elle alors à chercher ailleurs ? La forme d’urgence qui arrive presse et les pousse à se livrer sincèrement l’un à l’autre, faisant tomber les masques du jeu par lequel les messages passaient jusqu’ici. L’humour laisse alors place aux émotions : la tristesse, la peur, mais aussi la confiance et l’amour véritable qui naît face à l’adversité. Avec cette prise de conscience que tout est perfectible : « Tu as enfin compris que je n’étais pas tout un monde. » glisse d’ailleurs Letizia à Matteo dans un moment particulièrement fort du spectacle, insinuant qu’il peut enfin l’aimer pleinement et sincèrement maintenant qu’il sait ça. Toute l’histoire de Quand viendra la vague tient ainsi à ce rapport entre l’intimité du couple et celui que Matteo et Letizia ont au monde, créant toute la tension narrative de l’être humain face à la société dont il fait partie, sans jamais pouvoir trancher entre ces deux conditions.
Une multitude de points de vue
Si Matteo et Letizia sont au centre de Quand viendra la vague, le texte d’Alice Zeniter nous invite aussi à multiplier les regards. L’arrivée du mouflon, magistralement interprété par Laurent Annoni, apporte un autre message, peut-être plus empli d’espoir que le leur. Avec son attitude mystérieuse, mi-animal, mi-humanoïde, il tient un discours fort intéressant sur la capacité d’adaptation – faisant d’ailleurs allusion à la scène d’ouverture du spectacle où Matteo s’imagine ce que cela donnerait si tous les animaux commençaient à vivre sur deux pattes. La dimension philosophique de son intervention s’avère bien plus profonde qu’on pourrait le penser de prime abord, avec une jolie leçon donnée aux êtres humains, sur le fait de s’adapter à la nature et à son évolution, plutôt que de vouloir la dompter à tout prix…
Il y a aussi ces jeunes, représenté·e·s par nos deux musicien·ne·s, qui interviennent régulièrement, tout en douceur, pour nuancer le propos. Ils tentent de nous dire qu’il faut y croire encore, qu’il y a un espoir, même s’il faut renoncer à certaines choses ou renier certaines valeurs. Ainsi va la vie et l’évolution naturelle. On notera enfin le chœur, sans doute la plus belle surprise du spectacle – on ne vous dévoilera pas ici sous quelle forme il apparaît – et qui semble enchaîner les phrases énigmatiques : titres de journaux, informations partielles, aphorismes… Comme pour donner une image plus complète de cette catastrophe qui touche la planète, par bribes. Le tout est magnifiquement accompagné par l’incroyable jeu de lumières imaginé par David Kretonic. La pénombre permet de laisser la place aux autres, qui ne font pas partie du couple central, tandis que certains flashs viennent nous rappeler l’urgence de la situation. La dimension intimiste est aussi respectée, avec cette lumière qui provient de la structure, en bois, du rocher figuré sur la scène, comme pour nous aider à entrer dans le côté très personnel du couple, dans leur cocon. Associée à la trame sonore créée par Léon Boesch, elle vient compléter un spectacle où les trouvailles ingénieuses s’enchaînent et font résonner les mots d’Alice Zeniter comme ceux-ci le méritent, grâce aux subtils choix de mise en scène de Lefki Papachrysostomou.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Quand viendra la vague, d’Alice Zeniter, du 23 janvier au 8 février aux Scènes du Grütli.
Mise en scène : Lefki Papachrysostomou
Jeu : Simon Labarrière, Verena Lopes, Laurent Annoni
Musique : Léon Boesch, Tess Giordano
Création lumière : David Kretonic
Scénographie : Christian Bovey
Costumes : Samantha Landragin
Composition : Léon Boesch
Ingénieur son : Graham Broomfield
Interlocuteur philosophique : Nicolas Tavaglione
https://grutli.ch/spectacle/quand-viendra-la-vague
Photos : ©Magali Dougados