Les réverbères : arts vivants

Fables de l’effondrement

Au POCHE/GVE jusqu’au 2 février, Ça commence par le feu, écrit par Magali Mougel et mis en scène par Anne Bisang, propose un récit choral de fin du monde porté par des acteur·ice·s remarquables, à ne pas manquer.

Le Locle, son ambiance brumeuse, sa campagne. On est en 1989, le mur de Berlin vient de tomber. Une nouvelle ère commence. Enfin certains l’espèrent, d’autres redoutent le futur. On assiste à une série de portraits intergénérationnels, passant d’un genre à un autre, dans un univers d’une inquiétante étrangeté. Le texte de Magali Mougel, commandé par la metteuse en scène Anne Bisang, a été écrit et monté en résidence à La Chaux-de-Fonds, dont l’ambiance imprègne la pièce. L’autrice, originaire des Vosges, s’est inspirée des légendes du territoire mais aussi des légendes intimes et personnelles. Elle a notamment  questionné les membres de son équipe, dont la troupe est issue du TPR et du POCHE/GVE, créant ainsi un texte aux airs de fin du monde qui résonne malgré sa localisation pour le moins précise.  

La myriade de personnages qui défilent, chacun·e des comédien·ne·s interprétant plusieurs protagonistes, reflètent les différentes facettes de l’époque, qui parle aussi de la nôtre. Ils sont Jean-Loup (Yann Philipona) et son idéalisme humaniste et écologiste, qui dégrade les abris-bus afin d’en effacer les croix gammées, qui se fait casser la gueule plus tard par Jessica (Angèle Colas), jeune gymnaste militante d’extrême droite en rébellion face à ses parents (Françoise Boillat et Philippe Vuilleumier). Monette (Fanny Künzler, à l’écran), qui n’est pas interprétée mais qu’on devine particulièrement touchante, est interpellée sans cesse par sa famille qui gueule, elle essaye de sauver son bébé sur la table du repas dominical pour qu’il ne soit pas confondu avec le gigot. Sans oublier Simon (encore Yann Philipona), le trader qui aime le standing, aux airs d’American Psycho, et surtout Marina (Juliette Vernerey), jeune femme explosive qui rêve de vendre des bircher-mueslis à New-York, loin de sa famille de survivalistes.  

Chaque récit se répond et varie d’un genre à l’autre, en passant par un repas de famille malsain rappelant Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, jusqu’au fantastique lors du récit sur Wotan (Dylan Poletti). Une battue est organisée pour traquer la Bête, qui terrorise les habitants, dans une ambiance onirique où se mêlent légendes et réalité, porté par un Dylan Poletti habité. Chaque histoire, cependant, se termine par un désastre, que ce soit un incendie, souvent, une invasion de frelons, ou encore la Bête qui revient, mais qui offre justement à chaque fois l’occasion de faire table rase, et pourquoi pas, renaître de ses cendres. Car les fins du monde sont nombreuses, « plein de petites hémorragies » pour citer Monette, mais pourtant chacun des personnages est intensément vivant, et doit s’adapter.  

La réalisation de Camille De Pietro, présente tout au long de la pièce, participe réellement à la scénographie grâce à ces images presque figées des paysages neuchâtelois, et permet d’intégrer d’une manière ingénieuse Monette, ainsi que les différents protagonistes, exposant encore d’autres facettes. Le reste du décor, représentant à la fois les intérieurs modestes des habitants du Locle, et des extérieurs communs aux petites villes rurales, créés par Ana Popek. Théâtre bien choisi donc dans la suite de la colère de Jean-Loup, qui s’horrifie qu’après la création du GIEC en 1988, aucun État n’ait pris de mesure en faveur du climat, alors qu’il était encore temps de changer les choses. L’occasion pour nous de nous questionner sur les fins du monde en cette période aussi charnière que l’a été novembre 1989 ?  

Léa Crissaud 

Infos pratiques :  

Ça commence par le feu, texte de Magali Mougel,  mise en scène par Anne Bisang,  réalisation Camille de Pietro, au POCHE /GVE jusqu’au 2 février 2025. 

Avec Françoise Boillat, Angèle Colas, Yann Philipona, Dylan Poletti, Juliette Vernerey, Philippe Vuilleumier 

Jeu à l’écran Fanny Künzler, Isabelle Meyer, Yara Marty 

Photos : © Carole Parodi 

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