Les réverbères : arts vivants

Genève façon Tour de Babel avec Borges et le SAT

Pour ouvrir sa saison 22-23, le Studio d’action théâtrale du Galpon, dirigé par Gabriel Alvarez, propose un parcours surprenant à travers de nombreuses figures qui ont marqué la Cité, à commencer par José Luis Borges. À voir jusqu’au 27 novembre.

Tout commence avec la mort de Borges. Au milieu de la scène, des personnes sont réunies autour de la dépouille de l’auteur.  Elles discutent, débattent, confrontent leurs opinions autour de l’homme et des rumeurs le concernant. Lui-même se questionne sur son existence, le fait d’être mort et ce qui s’ensuivra… On le comprend bien vite, Borges entre la rue de Berne et la rue Rothschild ne sera pas un spectacle comme on a l’habitude d’en voir. Comme une Tour de Babel d’où sortiraient des histoires, des lieux, des personnages décédés et revenus à la vie le temps d’une soirée, il nous emmène dans un parcours dans Genève, marqué par des histoires, des symboles et de grandes figures. Entre réalité et fiction, entre mythes et Histoire, nous, spectateurs et spectatrices, suivons avec attention cette drôle de déambulation.

Un parcours déambulatoire

Sur la scène, les comédien·ne·s nous emmènent dans différents lieux genevois, comme le suggère le titre du spectacle. Pourtant, nous demeurons toutes et tous à notre place, sur notre siège. D’emblée, nous admirons l’ingéniosité de la scénographie et du jeu de lumière, avec les différents lieux figurés à divers coins de l’espace scénique. Du centre où gisait la dépouille de Borges, nous voilà, devant à droite, dans un appartement où Grisélidis Réal aurait reçu ses clients, alors que dans le fond nous apprenons les bonnes manières aux côtés de la baronne de Rothschild… C’est ainsi comme si nous déambulions dans les rues de Genève, au gré du texte et de la promenade de Borges dans cette Tour de Babel qu’est notre cité.

Ce ne sont pas seulement les lieux qui sont visités ici, mais bien également des styles de récits et d’arts. On retrouve des monologues, des dialogues aux longues répliques ou pleins de stychomities, des mythes comme des faits divers. À mesure que les comédien·ne·s passent entre les portes qui jalonnent la scène, iels changent de lieu, déplacent même les entrées et les frontières, si bien qu’on ne sait jamais où l’on se situe entre rêve et réalité. Comme un temps suspendu, iels nous conduisent dans un univers mystique où la mort – qui d’autre qu’elle – joue à la roulette avec des inconnus, et gagne à tous les coups. L’instant d’après, nous voilà en train de déblatérer sur la mode à suivre, entre Londres et Paris, tout en suivant une initiation aux bonnes manières avec la baronne de Rothschild, tandis que les couples finiront par se former et se déformer dans un lent tango qui constitue sans doute le plus beau moment du spectacle…

Un studio d’action théâtrale qui porte bien son nom

S’il n’y a pas forcément de ligne directrice dans ce spectacle, si ce n’est la déambulation de Borges, on se laisse porter par le côté expérimental, déambulatoire et symbolique de ce spectacle. Le studio d’action théâtrale du Galpon illustre parfaitement pourquoi il s’appelle ainsi. Plus que du théâtre, c’est bien à une action théâtrale que nous assistons. Les comédien·ne·s redonnent ainsi vie à Borges, à ses personnages, ceux qu’il a inventés comme ceux qu’il a rencontrés, dans un parcours qui suit ses pérégrinations. On évoquait un côté expérimental, il se retrouve dans la forme plus encore que dans le fond. Ainsi, la troupe expérimente, avec succès, différentes manières d’aborder les thématiques du spectacle. On admire par exemple la précision du récit choral, où les bribes de phrases se succèdent de la bouche des un·e·s et des autres pour former un tout continu. On apprécie également les moments de chants menés par Justine Ruchat et Clara Brancorsini, façon comédie musicale… Ou encore les déplacements précis et rythmés des personnages dans les scènes de transition. Jusqu’à ce moment, déjà évoqué, et qui conclut le spectacle en beauté et en douceur, lors duquel Justine Ruchat et Clara Brancorsini chantent sur un air de tango, alors que les autres comédien·ne·s dansent, deux par deux, dans des mouvements lents, aériens et emplis de passion, pour nous emmener hors du temps.

Borges entre la rue de Berne et la rue Rothschild, un spectacle qui nous invite à voir Genève autrement, à redécouvrir certaines de ses histoires méconnues, mais aussi et surtout à vivre un instant de poésie et de douceur.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Borges entre la rue de Berne et la rue Rothschild, par le Studio d’action théâtrale, du 15 au 27 novembre 2022 au Théâtre du Galpon.

Direction artistique : Gabriel Alvarez

Avec Clara Brancorsini, Marie Brugière, Marie Lou Félix, Mathieu Fernandez, Sébastien Olivier, Justine Ruchat, Hector Salvador et Solange Schifferdecker

https://galpon.ch/spectacle/borges-entre-la-rue-de-berne-et-la-rue-rothschild/

Photos : © Alex Gerenton

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *