Les réverbères : arts vivants

La renaissance de Rapunzel

Le week-end dernier, Mélissa Guex a bel et bien défait le conte de Rapunzel de ses oripeaux romantiques. Car Rapunzel bis dépasse de loin le chevalier qui la sauvait autrefois. La danse vibrante et agitée de Mélissa Guex montre que l’aventure siège bien au fond de nous tou·te·s. C’était au Pavillon ADC dans le cadre d’Emergentia les 11 et 12 novembre.

Emergentia, ce sont ces quelques jours précieux du mois de novembre durant lesquels le public a la chance de naviguer entre Pavillon ADC et les différents lieux de L’Abri ou du TU-Théâtre de l’Usine, pour découvrir des artistes en début de parcours. Cette fois-ci… Châteaux forts, donjon, amour transcendant et pont-levis… La danseuse s’en prenait – avec succès – au conte des frères Grimm et plus largement aussi à nos visions maintenant dépassées d’une princesse enfermée, veillant patiemment l’arrivée d’un chevalier audacieux. Dans sa performance ne figure aucun espoir (ni de l’arrivée d’un preux chevalier, ni d’ailleurs d’un quelconque bonheur). La princesse prend vie, est bien ancrée sur ses deux jambes : la danseuse illustre ce que pourrait signifier de se savoir enfermée dans un donjon, cloîtrée dans l’attente.

Cage ou nid ?

La faible lumière et les vibrations sourdes des basses, toujours plus fortes, participent rapidement à l’impression d’être prisonniers dans les combles d’un château. Au milieu du plateau, la danseuse piaffe d’impatience et frappe ses pieds dans une grande flaque d’eau. Très vite, on sent le changement qui opère. Car oui, le public n’est plus lui-même otage, mais devient celui qui enserre la danseuse, la regarde se démener. Disposé dans une configuration quadri-frontale, le public regarde et se regarde ; c’est comme une entente cordiale entre gardiens : tout ce qui passe ici est entre toi et moi. La noirceur du tableau campé par Mélissa Guex devient alors saisissante. Le visage passé à la magnésie, les yeux cerclés de rouge, avec des mouvements de torsion, l’artiste joue avec son corps, se déforme, se tend et détend. Elle éveille, notamment grâce à son habit semblable à la peau, un sentiment de terreur, surtout, lorsque, baignée dans une lumière rouge, elle s’emporte et ne semble plus s’arrêter – comme un monstre prêt à accoucher du pire. De temps à autre, des ruptures, de longs silences qui rendent les respirations possibles. Le public est coi ; en ceci, Mélissa Guex évoque également le souvenir des grands silences enfantins avant le début d’une longue histoire magique. L’artiste crée ainsi différentes phases séparées de façon nette sur les 45 minutes de sa performance, qui permettent de saisir l’idée d’un processus. La durée des silences et des bandes sons se trouve totalement maitrisée, fournissant à l’ensemble un caractère organique, sans artificialité.

Prendre son envol

Le dispositif scénique rappelle également le nid, l’endroit douillet d’où quelque chose va émaner. La vive énergie de la danseuse, ses cheveux coiffés en arrière, tout comme la mise en valeur par le costume de son côté frêle, avec des muscles extrêmement dessinés, amène le public à se demander quel animal s’agite là, devant nous. L’artiste parvient à faire naître quantité d’histoires dans nos esprits – notamment celle du jeune aiglon prêt à bondir. L’aigle au regard perçant, celui qui démasque peut-être des vérités archétypales, des stéréotypes véhiculés par les contes – comme celui de Rapunzel – dans les grands champs de la littérature mondiale, mais qui sont désormais dépassées. La danseuse marche et s’écroule, comme si elle n’était pas encore sûre de sa décision : dénoncer les stéréotypes ou s’y souscrire ? Puis, mimant les cheveux de Rapunzel par un long rideau de fils (à l’instar, peut-être, des fils rouges des histoires ?), elle les fait tourner au-dessus d’elle comme si elle préparait son envol. On est transporté·e.

Et peut-être s’agit-il de ça, de ces nouvelles idées qui naîtront dans nos esprits en relisant les contes d’antan avec des lunettes plus modernes, tandis que nous laisserons les autres dans les oubliettes.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Rapunzel, de Mélissa Guex, au Pavillon ADC, les 11 et 12 novembre 2022.

Conception et chorégraphie : Mélissa Guex

Photos : © Julie Folly

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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