No Country For Old Men : un Coen à l’humour glaçant

Le 12e long métrage de Joel et Ethan Coen est un polar métaphysique qui se déroule dans des paysages typiques de western. Un polar sans musique, ce qui surprend, même si ce n’est pas la moindre des curiosités de ce film hallucinant, autant par la beauté de sa photographie que la violence qu’il déploie. Brillant.

Texas, 1980. Alors qu’il chasse près de la frontière du Mexique, Llewelyn Moss (Josh Brolin, convaincant) découvre les cadavres d’une bande de trafiquants de drogue et une mallette contenant deux millions de dollars, dont il s’empare. Il ignore qu’Anton Chigurh (Javier Bardem, impressionnant avec sa coupe de cheveux à la Mireille Mathieu !), un tueur à gages psychopathe, a été engagé pour récupérer l’argent…

Cela débute comme un film typique de Joel et Ethan Coen : une voix off nous raconte une histoire, celle d’Ed Tom Bell (Tommy Lee Jones, impérial), shérif pendant 25 ans dans le comté de Terrell, un trou perdu au fin fond des États-Unis. Nous avons affaire à un western, donc ? Pas vraiment car rien n’est univoque chez les frères Coen. Et ce qu’ils affectionnent le plus, dans le western, n’est pas tant la culture qu’il véhicule (cow-boy, indien…) qu’un cadre à l’intérieur duquel pouvoir mettre toutes leurs obsessions.

Il y a les paysages, tout d’abord. De vastes étendues que la lumière du matin frappe à l’horizontal pour leur donner une couleur plus vive encore. La photographie est d’une telle beauté qu’on dirait des peintures. Les routes en ligne droite, seulement coupées par deux lignes jaunes continues, semblent infinies. Le cadre est posé, l’histoire peut commencer. Ce qui choque, d’entrée, c’est la violence de cette cuvée Coen, sans doute parce que l’on est autant dans leur univers (qui transparaît dans les personnages, les dialogues…) que dans celui de Cormac McCarthy, l’auteur du livre No Country For Old Men en 2005.

La violence, inhérente au livre, est omniprésente. Clairement ici, on n’est pas dans OBrother ou The Big Lebowski, où l’humour potache le disputait à l’absurde. Anton Chigurh/Javier Bardem est effrayant en tueur psychopathe avec sa (fausse) bouteille d’oxygène – et quand il parle, il devient glaçant – qui s’évade puis se fait passer pour un faux policier. Quant à l’autre protagoniste du film, Llewelyn Moss/Josh Brolin, il campe un soudeur sans histoire, qui aime la chasse et récupère les douilles des balles qu’il tire avec sa carabine. No Country For Old Men est un film peuplé de personnages pour le moins étranges. Pas des doux dingues comme on en trouve généralement chez les Coen mais de vrais fous furieux avec un badge !

Et puis, il y a du sang. Beaucoup, ce qui étonne de la part d’Ethan et Joel Coen. Le gang de dealers décimé au milieu des étendues désertiques, baignant au milieu de leur hémoglobine à côté de leurs véhicules, a un côté malaisant. D’autant plus que les scènes se suivent, toutes plus étranges les unes que les autres pour le spectateur non initié que nous sommes encore. Mais au lieu de décourager, cela éveille la curiosité (c’est là tout l’art des Coen !). Quelle est cette sacoche remplie de billets de 100 $ (pour la somme de deux millions au total) ? Quel rôle Tom Bell/Tommy Lee Jones joue-t-il dans cette histoire ? Nous ne le savons pas, encore…

Enfin, il y a l’humour, absurde ou subtil, des Coen, selon la perception de chacun. De retour chez lui, Llewelyn, qui a découvert le massacre des dealers, ressort

« faire un truc qu’[il] aurai[t] dû faire. – C’est quoi, questionne sa femme. – La pire des conneries, mais j’y vais quand même (il veut retourner sur les lieux du massacre). Si je ne reviens pas, dis à ma mère que je l’aime. – Mais, ta mère est morte, Llewelyn. – Alors je lui dirai moi-même. »

Jeu du chat et de la souris

La scène de poursuite fait penser à celle de La mort aux trousses de Hitchcock, l’avion étant simplement remplacé par une voiture et les champs (non) cultivés par des étendues désertiques[1]. Pour le reste, un innocent est poursuivi sans que l’on sache pourquoi, il y a des méchants déterminés et une même esthétique visuelle, tout y est. Un innocent ? Llewelyn a quand même pris la sacoche avec l’argent !

Il y a du Hitchcock donc, mais surtout du Tarantino dans la violence et la manière de représenter le sang à l’écran, on l’a vu, ainsi que dans celle qu’a Bardem de s’installer sur le canapé de Carla Jean Moss (Kelly Macdonald), la femme de Llewelyn, avec une bouteille de lait prise dans son frigo. On pense à Pulp Fiction, évidemment, quand Samuel L. Jackson goûte le burger d’un petit dealer qui a essayé d’arnaquer son patron, avant de l’exécuter. Du Tarantino certes, mais sans l’humour. Car ce douzième long métrage des frères Coen n’est pas vraiment drôle. Avec No Country For Old Men ils ajoutent une corde à leur arc (même s’ils font des polars depuis Sang pour sang, leur premier film en 1984) et qu’ils réaliseront un vrai western avec True Grit en 2010. Un peu comme quand Woody Allen, cantonné aux comédies intellos new-yorkaises, surprend tout le monde en réalisant un thriller londonien à la mécanique implacable (Match Point, 2005).

Finalement, No Country For Old Men n’est pas tant un western qu’un film policier qui se déroule dans des paysages typiques de western. Mais c’est un polar lent (en cela, il s’inspire des westerns-spaghetti), à l’action limitée. Pourtant, la tension constante (agrémentée du fait que la violence est subite, généralement sans suspense) crée un climat particulier qui sied parfaitement au film. Même s’il est faux de dire qu’il n’y a pas de suspense. Quand Llewelyn Moss et Anton se trouvent dans le même motel, avec le seul mur d’une chambre contiguë pour les séparer, on retient sa respiration et on tremble pour Moss.

Au bout d’une heure de film, l’ambiance évolue sensiblement avec l’arrivée de Carson Welles (Woody Harrelson, interprétant un bizarre de plus), chargé de retrouver Anton. Déjà, les lieux changent, passant du Texas au Mexique et à Odessa où Llewelyn Moss a caché sa femme. En outre, alors que Moss menait la danse, c’est à présent Anton qui semble prendre l’ascendant.

Le film n’est pas exempt d’incohérences : comment Carson et Anton retrouvent-t-ils Llewelyn à Mexico ? Comment ce même Carson localise-t-il l’argent[2] ? Peu importe, car l’histoire emporte tout. Et qu’en est-il du titre, au fait ? Joel Coen l’explique ainsi : « L’histoire parle en partie de la vision du monde de Bell (Tommy Lee Jones), de sa perspective sur le temps qui passe, sur le fait de vieillir, sur les choses qui changent… » Ce pays et, par métonymie, le monde qui l’englobe n’est plus les hommes dès qu’ils s’y sentent vieux et dépassés, par sa violence sans foi ni loi…

Bertrand Durovray

Référence : No Country For Old Men de Joel et Ethan Coen d’après Cormac McCarthy. Avec Tommy Lee Jones, Javier Bardem, Josh Brolin, Woody Harrelson et Kelly Macdonald. 2007. 2 h 02.

Photos : © DR

[1] Un autre clin d’œil possible, au Psychose de Hitch, survient plus loin dans le film quand Javier Bardem tue un homme sous la douche…

[2] Là, la référence des frères Coen semble l’être à l’un de leur propre film, Fargo : Moss jette l’argent par-dessus le grillage qui longe la frontière, un peu comme jadis Steve Buscemi le faisait avant de l’ensevelir dans la neige.

Bertrand Durovray

Diplômé en Journalisme et en Littérature moderne et comparée, il a occupé différents postes à responsabilités dans des médias transfrontaliers. Amoureux éperdu de culture (littérature, cinéma, musique), il entend partager ses passions et ses aversions avec les lecteurs de La Pépinière.

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