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Geste : Se mouvoir…comme une ballerine

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Céline Moioli qui prend la plume. Elle vous plonge dans la description… d’un geste, qui résonne dans son imaginaire. Bonne lecture !

* * *

Se mouvoir

…comme une ballerine

Voyez cette plume qui tombe du ciel, qui plonge sans poids vers le sol. Elle voûte son dos délicat pour mieux envelopper l’air qui la porte. Elle est bercée, d’instant en instant, par la brise légère de l’été, par le froissement d’ailes d’un oiseau ou parfois même, d’une abeille égarée. Elle s’achemine depuis le zénith vers le centre de la terre. Elle va, caressant la surface intangible de l’atmosphère, jusqu’au centre de l’univers. Sa blancheur éblouit. Le soleil la traverse de part en part. Il rend son image moins nette, pareille à un nuage qui se désagrège.

Vous désirez connaître sa destinée.

Voyez maintenant cette main tendue vers le ciel qui se balance lentement vers son centre de gravité. La danseuse caresse l’air embué de son souffle cadencé. Au premier coup d’œil, la main ne se discerne pas du bras qui la prolonge en ligne droite. Mais dès que la main commence à tordre le poignet et qu’il finit par fléchir, elle se met à flotter sur le dos. Vous la croyez en apesanteur. Après ce mouvement anguleux, qui mue le poignet en équerre, la main blanche se remet en mouvement. Ses doigts raides se détendent à une vitesse harmonieusement synchronisée jusqu’à ce qu’ils portent un globe de cristal invisible. Puis la paume creusée laisse les phalanges se rassembler au moment où le poignet reprend avec aisance sa forme rectiligne. Alors que le pouce se redresse, les doigts finissent par former un bec, chutant au ralenti dans le vide. Les projecteurs qui illuminent les planches enneigent le geste de la ballerine. Sans devenir floue, l’image de son bras qui bascule dans le vide, entrainé par la force légère de la main, vous fait presque appréhender sa chute. Mais l’épaule, doux levier, retient le bras et dévie sa route vers le ventre de la danseuse sans que le coude n’ait besoin de se plier. Le mouvement s’arrête lorsque cette fine pince a rejoint le milieu de son corps. Des pointes jusqu’au front, la ballerine se fige dans toute sa verticalité comme une jeune tige d’agapanthe.

Sans un mouvement d’air pour changer son équilibre, vous pensez qu’elle restera ainsi pour toujours, immobile statue de porcelaine.

Céline Moioli

Photo : © Simon Boxus

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