Les réverbères : arts vivants

Il était une fois le feu d’artifice Malandro

Jusqu’au 10 avril, le Théâtre de Carouge accueille la fantasque troupe du Teatro Malandro pour un spectacle total qui détourne avec délice les contes de notre jeunesse pour en faire une épopée baroque enthousiasmante.

« Il faut avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue ». Oscar Wilde le disait : rares sont les hommes libres qui portent leurs rêves dans la vie. Le metteur en scène Omar Porras en fait partie. Son Conte des contes en est la preuve puisqu’il lui permet, dans un même mouvement créatif totalement décomplexé, de passer d’un grand cabaret musical aux midnight movies en louchant avec gourmandise du côté gore bien sanguinolent.

La fable de l’histoire est claire. Cela commence par celle d’une famille burlesque dans laquelle un jeune prince souffre de mélancolie. On ira alors chercher dans d’autres contes la clé pour lui redonner le sourire. Adaptation infidèle du texte de Giambattista Basile, écrit au XVIIème siècle, cette trame permet au truculent metteur en scène de déployer avec maîtrise et fluidité un abracadabrant collectif d’artistes sublimé par un feu d’artifice d’effets spéciaux digne de Broadway.

Au premier rang de ces comédiens, il y a le clown blanc Philippe Gouin parfait en maître de cérémonie démiurge capable de toutes les pitreries. C’est le docteur du jeune prince qui ne doute pas qu’il va le guérir. Il introduit le spectacle, fait le lien entre les contes, nous y perd pour mieux nous surprendre avec des interventions fantasmagoriques qui culminent dans une sublime chanson « Angel »[1] dans le genre bien connu de la variété française espagnole…

Dans cette plongée ébouriffante aux sources d’histoires séculaires où se mêlent l’humour, l’absurde et la barbarie du Ça de nos enfances, les sept comédiennes et comédiens de ce spectacle carnavalesque sont remarquables dans l’étendue de leurs palettes de jeu et dans la  précision d’ensemble. Car, à n’en point douter, la folie ambiante n’est que la face libre d’une pièce chorale réglée au millimètre. L’extravagance des personnages, leurs chants, leurs danses et leurs excès en tout genre peut se lire comme une catharsis de nos pulsions refoulées, de nos peurs les plus archaïques et de certains désirs inavouables…

L’avalanche d’aventures narrées sur scène puise aux sources d’une transmission orale venue du fin fond du moyen-âge italien et c’est un bel hommage que ce théâtre polymorphique rend à la culture populaire qui nourrit nos imaginations depuis des temps immémoriaux. On retrouve, déformés par le travail du rêve freudien, les contes de nos enfances dans une version où les fées sont enfin nues et la morale enfin tordue au gré des paradoxes de nos emportements d’humains parfois si laids, parfois si beaux mais le plus souvent assez ridicules.

Entre songe et réalité, Omar Porras et toute sa troupe ont ainsi réalisé l’exploit de créer un univers bariolé incroyable, un oxymore artistique capable d’enchanter et d’angoisser dans le même élan, de faire en sorte que le bourgeois se moque de cet enfant qui n’est autre que son double rimbaldien, de tirer des larmes de beauté (l’envol du rideau entre des flocons de neige est une des plus belles images qui soient) en même temps que des frissons d’horreur, … Ne dit-on pas que le théâtre c’est la vie ? Le Teatro Malandro en fait ici une démonstration exaltante.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

Le conte des contes, d’après Giambattista Basile du 22 mars au 10 avril 2022 au Théâtre de Carouge.

Conception et mise en scène : Omar Porras

Avec Simon Bonvin, Jonathan Diggelmann, Philippe Gouin, Jeanne Pasquier, Cyril Romoli, Audrey Saad et Marie-Evane Schallenberger

Par le Théâtre Malandro

Photos : © Lauren Pasche

[1] https://theatredecarouge.ch/capsule/le-conte-des-contes/#lg=1&slide=0

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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