« La Marmite » : pour ouvrir la culture à tou.te.s
Le constat est simple : nous ne sommes pas tous égaux devant l’accès à la culture. Alors, depuis 2016, l’association « La Marmite » propose des parcours à des personnes issues de mêmes groupes « sociaux », mêlant spectacles, films, expositions et interventions. Petit tour d’horizon des deux prochains parcours genevois.
Lauréate du Prix Leenaards en 2019, « La Marmite », imaginée par Mathieu Menghini, se présente comme un mouvement culturel, artistique et citoyen. Culturel tout d’abord, car elle explore, à travers des parcours durant toute une saison, divers aspects de la culture. Elle met ainsi en relation des groupes « sociaux », généralement en situation de précarité (jeunes en rupture scolaires, chômeur.se.s, minorités visibles, exilé.e.s, victimes de violences domestiques…) avec des artistes, des institutions culturelles, des intellectuel.le.s… Le tout encadré par un.e ou deux médiateur.trice.s culturel.le.s, ainsi qu’un.e artiste. Artistique ensuite, car la rencontre avec ce milieu favorise la création d’une œuvre, au terme du parcours, par les membres du groupe, autour de la thématique choisie. Citoyen enfin, car elle cherche à donner une visibilité à ceux qui n’en ont pas au sein de la Cité, de façon à mieux les inclure dans l’horizon démocratique. Donner une voix à ceux qui n’en ont pas, en somme.
Soutenue par des collectivités, municipalités, institutions, fondations et divers.se.s parrains et marraines, « La Marmite », née à Genève, étend désormais son activité aux cantons de Vaud, Valais, Neuchâtel et Fribourg, ainsi qu’à la France voisine. Son nom a été mûrement réfléchi : la marmite a, pour tou.te.s les Genevois.se.s, une signification forte depuis 1602[1]. Elle indique également une idée de mélange de groupes « sociaux », dans le but de créer un symbiose entre ses divers acteur.trice.s. La Marmite, c’est aussi un côté chaleureux qui montre que les participant.e.s se sentent bien et se révèlent lors des parcours, avec cet appétit d’en découvrir toujours plus.
Collaborant avec des associations, la plupart du temps, elle s’intéresse donc à des groupes qui n’ont pas forcément accès à la culture. Pour ce faire, chaque groupe, composé de 7 à 15 personnes, est encadrée par un.e « spécialiste de la pensée », en lien avec la thématique choisie. Le parcours se compose ainsi, en règle générale, de deux spectacles ou performances, d’une exposition, d’une projection d’un film et d’une rencontre avec le ou la spécialiste de la pensée, d’abord en privé, puis en public, lors d’un événement organisé avec cette personne. Précisons ici que les parcours sont totalement gratuits pour les participants et que les thèmes choisis ne sont pas directement liés aux caractéristiques du groupe. Elles s’inspirent plutôt des spectacles et expositions retenues par les médiateur.trice.s. La projection du film, ainsi que la seconde rencontre avec l’intellectuel.le sont publiques et permettent au public de se confronter à la thématique choisie pour le groupe. Ces parcours sont ainsi pensés comme des lieux d’ouverture et de débat. En plus de favoriser l’accès à la culture à ces groupes, ils visent à leur donner certaines clés de compréhension. Au-delà de cela, c’est une façon pour les participant.e.s de se dévoiler eux-mêmes, sans parler de leur appartenance au groupe, mais plutôt de ce qu’ils sont et de leur rapport au monde. C’est dans cette optique que l’association se présente comme un mouvement « démocratique », qui tend à donner une voix et développer la réflexion des participant.e.s. Après les parcours, celles et ceux qui le souhaitent peuvent s’inscrire dans les « Chœurs ». Ceux-ci permettent aux participant.e.s de prolonger leur expérience, en la partageant avec des membres issus d’autres groupes, qui forment ce Chœur et prennent part aux parcours des années suivantes.
Cette année, Genève accueillera deux parcours, et donc deux groupes. Le premier prend le nom de Pierre Kropotkine, un philosophe de l’évolution, dont on pourrait résumer les idées par le terme d’anti-darwinisme. Il affirme ainsi que la coopération et l’aide réciproque sont des pratiques communes et essentielles dans la « nature humaine ». Un choix qui semble évident pour un groupe qui travaille sur la thématique de l’adaptation. Composé d’élèves issu.e.s de la FO18 du CEC Emilie Gourd – comprenez par-là qu’il s’agit de jeunes en décrochage scolaire – et encadré par la céramiste Anouk Gressot, il se questionne sur les diverses formes d’adaptation. Pour ce faire, ces jeunes ont déjà participé, lors de la récente Fête du Théâtre, à l’expérience Mission Roosevelet, qui proposait un parcours en chaises roulantes. La deuxième spectacle auquel ils assisteront se jouera au Théâtre Saint-Gervais : il s’agira du cinquième épisode de la saga Vous êtes ici, qui mettra en scène un poulpe surdoué… Puisqu’il sera question d’évolution, l’exposition Le grand bazar de l’évolution, au Jardin Botanique, explorera les mécanismes d’entraide et d’adaptation dans la nature. En mars 2021, lors d’une projection publique, les participant.e.s pourront assister à Spartiates, de Nicolas Wadimoff, un film qui parle de MMA. Il s’agira ici de mettre en avant le paradoxe entre l’extrême violence de ce sport et la tolérance qui se développe dans ce milieu. Enfin, l’intellectuelle choisie pour ce parcours sera Barbara Stiegler, dont la dernière publication s’intitule Il faut s’adapter. Un nouvel impératif politique. La rencontre publique aura lieu le 1er mai 2021.
Le second parcours genevois s’intéressera quant à lui à la théâtralité. En collaboration avec l’Association Foyer-Handicap, il emmènera des victimes de traumatismes crâniens et cérébraux à la rencontre de Peter Wyssbrod, l’intellectuel invité pour ce parcours, et qui a également donné son nom au groupe. Ce grand monsieur du théâtre s’est toujours intéressé à la condition de l’artiste et de l’Art dans ses cinq grands spectacles, écrits entre 1975 et 1981 et rejoués de nombreuses fois depuis. Avec lui et la chorégraphe Caroline de Cornière, les participant.e.s se rendront à La Cuisine de Carouge pour assister à La Tragédie comique, un spectacle culte repris cette année, plus de 30 ans après sa création. L’autre spectacle au programme est attendu depuis un moment, puisque reporté de la saison dernière : Boulevard du Minuscule, de Claude-Inga Barbey, se veut une fresque cocasse visant à célébrer les 90 ans du Théâtre des Marionnettes. Concernant le film, c’est un autre grand monsieur qui sera à l’honneur, avec Woody Allen et Coups de feux sur Broadway, un film qui fait du théâtre son principal objet. La réflexion sera complétée par une exposition du Musée d’ethnographie, questionnant le rôle du théâtre dans diverses cultures étrangères.
Parce que la culture est un vecteur de rassemblements et qu’elle appartient à toutes et tous, « La Marmite » revendique cette idée. Elle donne l’occasion à tous d’avoir accès au théâtre, au cinéma et aux expositions, en créant une relation privilégiée au monde de l’Art en général. N’hésitez donc pas à vous rendre sur le site de l’Association pour y découvrir les divers parcours thématiques, et notamment celui du Groupe Mary Shelley à Neuchâtel, qui s’intéressera au fantastique. En cherchant bien, vous pourrez également trouver des archives des précédents parcours, ainsi que tous les événements publics organisés par l’Association, qu’il s’agisse de projections, de rencontres ou de veillées.
Fabien Imhof
Tous les détails et informations sont à retrouver sur le site de « La Marmite ».
Photo : © Guillaume Perret
[1] Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas ce fameux épsiode de notre Histoire : https://www.patrimoineculinaire.ch/Produit/Marmite-de-lEscalade/18