L’avenir, c’est demain, mais il se construit aujourd’hui
Un titre en forme de slogan politique, trois frères qui se battent pour l’avenir : c’est, en substance, ce que l’on peut dire de L’avenir, c’est demain, une pièce de la Compagnie lesArts, jouée jusqu’au 1er mars au Théâtre Le douze dix-huit (Grand-Saconnex).
Avant la pièce, les trois comédiens avertissent le public que le texte n’est pas encore définitivement écrit. Il le sera le 2 mars, lendemain de la dernière, au gré des évolutions et retours du public. Aussi, celui-ci est invité à boire un verre avec l’équipe après la représentation pour discuter. Un spectacle évolutif et interactif, donc.
Les trois frères incarnent chacun une branche de la société : l’un est publicitaire et s’engage dans une campagne politique ; l’autre est comédien, tourné par conséquent vers le domaine artistique ; le troisième, enfin, est professeur de philosophie et représente le monde de l’éducation. Tous les mardis, ils se retrouvent pour une réunion de famille. Il y est question de leurs engagements, de leur mère malade que Nicolas (le professeur) est le seul à aller voir régulièrement… À la fois proches et avec des convictions très différentes, les trois frères devront faire face aux limites de la liberté d’expression lorsqu’une influenceuse décide de lancer son parti, prônant la « tolérance universelle », changeant radicalement la façon de voir le monde…
Des questions actuelles
D’apparence légère, ce spectacle est rempli d’humour. Les conflits entre les frères sont nombreux, les boutades fusent, et la complicité fraternelle donne le sourire. Ajoutez à cela quelques personnages très typés : les deux collègues du publicitaire, dont l’un ne jure que par les chats, alors que l’autre ne pense qu’à manger, ou encore les étudiants un peu rebelles (mais pas trop), qui débattent en cours de philosophie… On assisterait presque à une pièce de boulevard, mais la réalité est bien plus subtile.
En évoquant toutes les grandes questions sociétales actuelles : égalité, veganisme, écologie, racisme, homophobie… ce spectacle interroge le monde contemporain. Le parti émergent de l’influenceuse prône la « tolérance universelle », mais qu’est-ce donc au fond ? L’idée est de gommer toutes les différences. C’est là qu’est l’os. La tolérance est, par définition, le fait d’accepter les différences de l’autre, et de vivre avec. Un problème se pose donc dans la définition même du mot, ainsi qu’il est interprété par l’influenceuse. Si elles n’existent plus, ne risque-t-on pas de tomber dans un modèle de pensée unique ? Mais dans ce cas, la tolérance n’aura plus lieu d’être, et l’individu n’existera plus en tant que tel. De plus, le parti se propose de faire disparaître toutes les œuvres qui marquent une quelconque différence entre des êtres (de sexe, de couleur de peau, d’origine…). Ne se rapproche-t-on pas de ce que font les dictatures ? Sans différence, sans personnalité propre, en quoi chaque être humain présente-t-il un intérêt ? Les débats et questions soulevés sont nombreux… La crainte, c’est aussi de ne plus avoir de place pour la réflexion. Dès lors, tout risque de partir en vrille. La tolérance universelle, ce serait, paradoxalement, aussi accepter les actes de chacun, c’est donc laisser potentiellement libre cours à l’anarchie. Et c’est ce qui arrive dans L’avenir c’est demain. Ces interrogations sont développées à partir des les points de vue de chacun : le professeur défend une liberté d’expression qui doit permettre de débattre, afin de faire avancer la société ; le publicitaire soutient sans réserve le parti de la tolérance, mais est en réalité guidé par l’argent et l’intérêt personnel ; de son côté, le comédien continue la lutte pour des loyers abordables et pour l’égalité. On pourrait dès lors se questionner sur les stéréotypes que peuvent véhiculer ces personnages, mais c’est un autre débat. Au final, tous ont raison, d’une certaine manière, de défendre ce qu’ils défendent. Mais, pour qu’une société fonctionne, il faut faire des compromis, accepter un peu des avis de chacun, et surtout, les différences. Critiquer les idées, mais pas les personnes. Dans cette phrase réside peut-être la clé de ce spectacle.
À force de se battre pour de grandes idées, les trois frères se perdent et s’oublient. Il y a ceux qui n’ont plus le temps de voir leur mère malade, celui qui perd sa femme et ses enfants, l’autre qui n’a plus de logement… L’avenir, c’est demain nous rappelle ainsi que la famille, elle aussi, est importante.
L’avenir, c’est demain pose ainsi, en à peine plus d’une heure et avec un humour toujours présent, de nombreuses questions sur la société, le vivre ensemble, l’individu. Un spectacle dense, complexe et qui fait réfléchir. Un spectacle nécessaire aujourd’hui.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
L’avenir, c’est demain, du 21 février au 1er mars 2018 au Théâtre Le douze dix-huit.
Mise en scène : Tony Romaniello
Avec Jérôme Sire, Laurent Baier et Christian Baumann
https://ledouzedixhuit.ch/spectacle/lavenir-cest-demain/
Photo : © Yves Zaganoni
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