Le banc : cinéma

Le marionnettique « Terrifier »

Terrifier 3 c’est un peu Père Ubu au pays du gore. Un tueur en série héritier du théâtre de la marionnette tueuse Punch, assassin mythique et sans limite morale aucune né en Angleterre au XVIIIe siècle. Un film à méditer, plutôt qu’à gerber. On peut faire aussi les deux.

Buzz infernal, viral et bien orchestré sur les réseaux sociaux, film interdit en salles aux moins de 18 ans – pour une scène de tronçonnage d’un couple adolescent faisant l’amour sous la douche –, alors qu’il est bel et bien disponible sans restriction aucune sur des plateformes de streaming potentiellement accessibles aux dès 4 ans. Mêlant le macabre, l’humour noir, l’horrifique, le fantastique, la bande dessinée au marionnettique, Terrifier 3 fait couler beaucoup d’encre. Et de fausse hémoglobine saturée de rouge groseille, lui assurant une légitimité mainstream. Chaque massacre se veut une œuvre d’art, d’où le nom du serial killer, Art.

Jeu de rôles

Invariablement campé par David Howard Thornton quelque part entre les grimaces et rires horrifiques du clown surjouées, le mime Marceau et le cauchemardesque Freddy Krueger de l’acteur Robert Englund des Griffes de la Nuit de Sam Raimi, l’Ubuesque Art le clown est flanqué de Victoria Hayes (Samantha Scaffidi). Voici son improbable Mère Ubu, sa compagne de chaos mortifère, survivante atrocement déformée et décomposée issue du premier Terrifier.

Victoria est vraiment un personnage tragique affichant les séquelles des traumatismes vécus dans les films précédents. Défigurée et mentalement instable, elle représente le côté humain brisé par la violence d’Art. Elle devient une sorte d’avertissement pour ceux qui croisent Art, symbolisant ce qui peut advenir aux survivant·e·s de ses attaques. Son rôle dans l’intrigue de Terrifier 3 est ambigu. Oscillant entre vengeance et folie, elle cherche à prévenir les autres du danger tout en ferraillant avec ses propres démons.

Sans grande passion, l’on peut suivre un autre arc narratif au fil du parcours de la seule réelle opposante à Art, Sienna, qui l’a décapité cinq ans auparavant. Elle est campée par Lauren LaVera, actrice, cascadeuse et artiste martiale américaine qui déroute par ses songes. Un personnage résilient déjà croisé sous d’autres formes dans la franchise Scream, et marqué par une détermination farouche à affronter ses peurs et à mettre fin aux atrocités d’Art.

Cabinet de curiosités

Avec son aspect de cabinet de curiosités horrifique et de vrai faux torn movie, Terrifier 3 est du vrai cinéma labellisé – gonzo, soft snuff et WTF. Mais pas franchement un produit de niche. Que l’on songe à son mille-feuilles de références jusqu’au giallo de Dario Argento, voire hommages à la pelle à des pans entiers du cinéma d’horreur. Ainsi Tobe Hoopper, Sam Raimi, John Carpenter, Luicio Fulci, Drew Goddard et sa mise en abyme du genre horrifique dans La Cabane dans les bois avec Sigourney « Alien » Weaver en Grande Manipulatrice de scénarii gore, il fallait le faire. La scène de la douche du film montre au moins une résistance au demeurant fort ténue au charcutage qu’un clin d’œil cinéphage appuyé au Psycho d’Hitchcock.

Terrifier 3, c’est d’abord un montage à la hache faussement artisanal. Doté dans son meilleur d’un sens du montage quasi-godardien en introduisant des sauts brusques et des discontinuités, créant ainsi une dynamique qui interpelle le public, le réalisateur Damien Leone farcit son long métrage de deux tours d’horloge de jump scare (coups d’effroi), ellipses et faux raccords. Mais aussi de champ-contre champ hyper classiques repris en boucle. Champ : Papy Art Noël et sa tronçonneuse blanche. Contre-champ : couple hurlant sous la douche. Un dispositif répété ad nauseam faisant trop souvent des femmes des Screaming Queens ou Reines des Cris dans la grande tradition du film horrifique des années 70. Il y aura sans doute des haut-le-cœur face à cette complaisance obscène dans le fait de montrer la souffrance de victimes progressivement démembrées et agonisantes tout en se rappelant que la scène de torture de Réservoir Dogs de Tarantino les surpasse en perversité et désinvolture.

Mutisme mimique

La force étrange d’Art le Clown, c’est qu’il ne parle jamais. Mais le croquemitaine à la dentition d’orque de la saga le Seigneur des Anneaux, n’est pas un zombie comme Michael Meyers dans l’interminable franchise Halloween – ira-t-on jusqu’au Terrifier 12 ? Il n’est qu’un tueur au masque marionnettique et à la mimographie grotesque et parfois mélancolique. Son klaxon accessoire apocalyptique de clown devient ici beckettien dans l’Absurde et fait songer au réveil matin de fin d’un monde et de Jugement dernier appartenant à l’aveugle paralysé Hamm dans Fin de partie. L’un des points faibles de la réalisation sont les scènes calmes platement jouées. Mais peut-être est-ce volontaire pour mieux faire ressortir le montage épileptique des tueries.

Enfin dans la lignée des clowns tueurs, par exemple le clown à ballon rouge de It, le père dévoré par son masque dans Clown, Art est vraiment un descendant de la marionnette Punch. Un tueur en série qui fait le mal pour le mal et pour la jubilation que ses sévices lui procurent. Pièce fameuse du répertoire du théâtre de marionnettes, Punch et Judy relate les méfaits d’un être maléfique. Après avoir balancé son bébé par la fenêtre (infanticide), échappe au courroux de sa femme, qu’il assassine (féminicide), puis aux tentatives pour s’emparer de lui d’un policier, de la Mort, et même du Diable.

C’est dire qu’Art (dans sa lignée précisément artistique) a de qui tenir. Badigeonné de son maquillage à la Kiss, il est semblable à une écœurante pâtisserie manga aussi horrifique que mélodramatique. Ni une ni deux, le voilà qui s’attaque en père Noël sanguinolent et baroque pop – les lunettes de soleil étoilées, un must de cosplay – à des enfants. Mais pas encore à des bébés comme ce fut le cas dans A Serbian Film avec le viol d’un nouveau-né. Et au théâtre au détour d’Anéantis signé Sarah Kane et son bébé dévoré. Ou Edward Bond dans Naître et son nouveau-né fracassé contre des boucliers de militaires tortionnaires pour voir ce que cela fait d’agoniser dans un univers post-apo.

Juste un Grand-Guignol sanglant ?

Avouons-le, la réalisation est plombée par ses flashbacks explicatifs, ses séquences oniriques autant que par les références à des entités surnaturelles et des univers parallèles infernaux. À l’inverse de Terrifier 2 prenant un malin plaisir à installer des moments distendus de tension indécidable avant les étripages, ce troisième volet va un peu trop droit au but. Avec ses quelque 100’000 victimes tuées annuellement, les États-Unis attendaient une ouverture quasi-documentaire sur la confection des armes et objets de torture.

C’est dans l’atelier d’un artisan de la mort infligée avec soudaineté ou souffrance (les rongeurs introduits dans le corps de la victime) que l’on pénètre donc. Ses mains forcément entre le vif et le trépassé sont de patience artisanale, elles peaufinent, extirpent, effleurent ou se saisissent de matières et outils.

La Franchise Terrifier serait-elle un Grand-guignol sanglant à dessein cathartique de nos violences enfouies ? On peut en douter. Mais y songer. Avec ce qui se passe quotidiennement dans l’impuissance généralisée à faire respecter le droit humanitaire dans certains endroits du monde, Art apparaît par ailleurs un bien modeste et laborieux artisan de la mort à l’œuvre. Que l’on songe à notre ici et maintenant. Ces centaines de femmes et d’enfants quotidiennement broyés sous les bombes, mutilés, brisés, terrorisés, humiliés, déplacés et tourmentés. Jusqu’à l’insoutenable. Le vrai scandale gît dans le carnage suicidaire, nihiliste et jusqu’au.boutiste et la fin de toute humanité à laquelle nous nous accommodons.

De Jerk à Terrifier

La violence joue ici de sa représentation hyperbolique et théâtralisée à outrance directement puisée à Punch. Cette marionnette servait à attirer le public vers les représentations de marionnettes sur les terrains de foire. C’est aussi sous la forme de marionnette à gaine que Punch fit son apparition dans les rues de Londres (première trace écrite en 1785). Jusque dans son masque de Polichinelle psychopathe, Art se confond avec Punch. Trait pour trait.

La réalisation de Damien Leone reste toutefois fort éloignée des zones troubles et malaisantes agitées par la marionnettiste, metteure en scène et plasticienne Gisèle Vienne dans son mythique Jerk (pièce puis film) sur un texte de Denis Cooper.

Dans Jerk, le comédien Jonathan Capdevielle est assis seul au plateau, l’air à la fois satisfait et mal à l’aise comme l’ado étasunien qu’il joue, David Brooks. Avec fin sourire excité, bouche de ventriloque ce personnage dérangé et inquiétant nous raconte de sa prison la vingtaine de meurtres et viols qu’il a perpétrés sur des garçons de son âge dans les années 1970 au Texas, en compagnie de ses amis Dean et Wayne.

David fait parler ceux-ci à travers ses effrayantes marionnettes peluches d’enfants, tel que panda ensanglanté, et peluche de chiot toute pourrie. Défilent alors par le verbe et les gargouillis du comédien ventriloque les pires monstruosités nécrophiles et sexuelles qu’Art n’aurait même pas songé à imaginer, si ce n’est à commettre. Ce qui rapproche Terrifier 3 de Jerk basé sur un fait divers réel, écrit par Denis Cooper, et interrogeant les liens entre fantasmes et réalité est cette croyance en la puissance de l’imaginaire activée par la seule lecture de l’horreur, sa mise à distance et non le fait de la montrer dans une fiction. Lors de la représentation de Jerk, spectacle très lié à la tradition ultraviolente de la marionnette à gaine qui est de l’ordre de la révolte, des feuillets sont distribués au public. Ils décrivent par le menu les tortures infligées. Et c’est proprement terrifiant.

Banalité du mal

Le tour de force de Terrifier 3 est de souligner la banalité du mal. Au final, Art attend le bus, solitaire comme dans un tableau d’Edward Hopper ou une composition picturale et plasticienne du photographe Gregory Crewdson. Dans le transport en commun qui arrive, une jeune femme lit un épais livre d’horreur comme elle le confie au conducteur. Ceci à une époque où l’audience des moins de 30 ans ciblée par le film est réputée ne plus lire au-delà des messages sur réseaux sociaux. Si l’arrivée dans le bus du clown assassin et son klaxon laisse présager un massacre à venir, on en reste à la lecture du récit d’horreur. Sans échouer à sa mise en images convenue comme le souligne ailleurs le Maître du genre, Stefan King. Il est l’un des écrivains les plus adaptés à l’écran avec plus de 50 récits portés au cinéma. Souvent pour le pire, à l’en croire.

Qu’est-ce qui nous retient dans Terrifier, burlesque parfois lourdingue dans le grotesque et au sadisme assumé ? Ce n’est probablement pas une curiosité macabre ni même une indifférence désinvolte. Ce n’est que de la violence théâtralisée, grotesque et excessive, morbide et sanguinolente, se dit-on per se. Peut-être est-ce toutefois un malaise moral, le début d’une prise de conscience : ce que l’on refusait d’affronter tout à l’heure face à la tragique et désespérante actualité des conflits en cours, qu’on rejetait loin de soi, surgit sur écran, tel un retour de flamme : le Massacre des Innocent·e·s.

Famille haïe

La première scène nauséeuse de carnage d’une famille dans Terrifier 3 est enrubannée dans un décor de carte postale de la Nativité sur fond de foyer enguirlandé, chaussons pour cadeaux, cookies et lait pour les lutins. C’est réussi tant que le gore reste dans l’hors-champ d’une jeune enfant lanceuse d’alerte incomprise. Dans un jeu incroyablement sobre et retenu, la fillette se dissimule. Puis tente de saisir ce qui se trame, tout en croyant au Père Noël – moins avec une hache –, aux elfes et aux contes infusés par sa mère.

Elle sera épargnée du carnage, tant elle ne hurle pas de terreur, ni ne tente de fuir lorsqu’elle est découverte par le monstre. Cette scène étonnante, où le charcuteur lui fait un signe facétieux de la main, témoigne de la familiarité dubitative de l’Enfantin avec le monstrueux surgi de l’univers des contes cruels. La famille, ici littéralement démembrée, étant le sujet de prédilection du cinéma américain mainstream en sa variante romcom (comédie romantique) que ce film aussi cinéphile que cinéphage prend un malin plaisir à dévaster.

Frank Lebrun

Référence :

Terrifier 3, réalisé par Damien Leone, États-Unis, sortie en salles le 31 octobre 2024.

Avec David Howard Thornton, Alexa Blair Robertson, Lauren LaVera, Samantha Scaffidi…

Photos : ©DR

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