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Le placard

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Le confinement a été une période particulièrement stressante – mais étonnamment riche en inspiration. Autour de la question « comment s’en sortir sans sortir ? », David Mariéthoz vous propose sa vision personnelle de la situation… à la manière de l’OuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle).

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Le placard

Comment s’en sortir sans sortir ? Je me le demande bien. Je rêve de le savoir. Cet endroit est aussi noir que mes pensées. On y trouve aucun éclat d’espoir, pas la moindre lueur. Je m’y perds, je m’y noie, j’y mourrai. Comme beaucoup d’autres avant moi. Je n’en sortirai jamais ; je ne m’en sortirai jamais.

Comment s’en sortir sans sortir ? Bonne question. Cet endroit n’a pas d’issue. Peut-être que si, une seule : celle qu’il est impossible d’emprunter. Car vivre caché, porter un secret qui dévorera l’être ou être libre en se heurtant toute une vie à l’ignorance, à la haine et au jugement. C’est le choix imposé à des enfants, des adolescents qui voulaient s’épanouir, qui auraient pu d’un avenir se réjouir. Mais on nous enferme dans ce schéma, ce tracé qui ne nous convient pas. Papa demande quand est-ce qu’on ramènera une jolie fille à la maison, quasi rituellement ; maman se réjouit d’un futur mariage, mais avec la jolie fille uniquement. Ça devient agaçant… Ils se réjouissent de serrer leurs petits-enfants, dans leur petit monde tout beau, tout hétéro. Et nous ? On dirait qu’on s’en fout. De nous. On ne compte pas ? Nos sentiments ? Notre bonheur ? Nos envies ? Apparemment ça ne compte pas.

Comment s’en sortir sans sortir ? On se pose encore la question en 2020 ? Cet endroit n’aurait jamais dû exister, il a encore moins sa place aujourd’hui. Malheureusement, c’est là où l’homme a décidé d’enfermer cette minorité, tous ces gens nés avec trois fois moins de droits, retranchés contre leur gré. S’ils osent sortir du placard, alors on les stigmatisera, on les enfermera nous-même en cellule et s’ils sont chanceux, ce sera des coups de fouet. C’est pourquoi on fait tout notre possible pour qu’ils ressentent le plus de honte possible, pour qu’ils restent dans le placard jusqu’à la mort. La honte doit changer de camp maintenant. On découvre un taux de suicide quatre fois plus important chez les jeunes se découvrant homosexuels que chez les autres … Il faut dire que la technique marche bien, c’est efficace. Et tout ça au nom de quoi ? Ça dure depuis des millénaires, mais au nom de quoi ? Ça tourne à l’obsession, ça demande des changements de constitution ; tout ça pour faire gagner un peu de temps à la Suisse qui n’admet toujours pas les mêmes droits à tous ses citoyens. Et ils sont contents. Mais quoiqu’ils fassent et quoiqu’ils disent, ces jeunes n’auront bientôt plus ni à entrer, ni à sortir. À bas les stéréotypes, les inégalités, l’acharnement, la transphobie, l’homophobie. Homophobie ? Qui doit vraiment avoir peur de qui ? T’as peur de l’ado gay que t’oppresses jusqu’au suicide ? À bas votre placard. On s’en sortira sans sortir.

David Mariéthoz

Photo : © Depaulu

Ce texte est tiré de la volée 2020-2021, animée par Éléonore Devevey.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

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