L’enfant prodige
Documentaire. Ce récit universel, dans les pas d’Alexis Valdes, jeune danseur cubain talentueux en quête de perfection, suit tous les codes de narration du passage à l’âge adulte.
Dans la séquence introductive, Alexis esquisse quelques pas devant un miroir, virevolte, et il ne cessera de danser, bondir et s’exprimer avec son corps durant les 98 minutes du documentaire de Roberto Salinas. Dès les premières minutes, les choses sont posées, Alexis, catalyseur d’énergie créative, mangera l’écran de cette coproduction italienne-canadienne-chilienne.
Le film est le prototype du « film de festivals », rythmé, touchant et il comblera un public large. Il existe aussi une version de 52 minutes pour une diffusion télé.
Cuban Dancer suit la trajectoire de cet adolescent dynamique et gracieux, sur une période de quatre années, de Cuba aux Etats-Unis, où ses parents décident d’émigrer en 2016, pour retrouver leur fille après plus de 4 années de séparation. Le jeune danseur, alors âgé de 15 ans, doit tout quitter : l’École nationale de ballet de Cuba qui l’a formé, ses camarades, sa partenaire et petite amie Yelenia pour un avenir incertain en Floride. Confronté à la rudesse de la méthode américaine, à la compétition, sa détermination est mise à rude épreuve. Il devra se conformer à un nouveau pays dont les codes lui échappent, tout en restant fidèle à ses racines. Que se passe-t-il quand nos rêves et ambitions sont contrariés, quand on doit suivre une trajectoire qui n’est pas celle qu’on a choisie ? Comment s’adapter à une situation subie en force et avantage, puis rebondir ?
Biographie
Salinas suit Alexis à tout instant et nous fait partager la palette des émotions éprouvées par le jeune artiste : peur, doute, joie, frustration. Alexis se confie face à la caméra avec beaucoup de naturel, sans réserve et ne cache pas ses larmes à plusieurs reprises. Le jeune homme évolue dans son monde, entre pratique de la danse, discipline, concours, avec, en arrière fond, la détente qui s’amorce entre Cuba et les Etats-Unis à un moment historique (lors de la présidence de Barack Obama). On aurait pu s’attendre de la part de Salinas dont le travail de documentariste est principalement axé autour de thématiques sociales et culturelles à plus de contexte social, mais il ne s’attarde pas sur les questions d’immigration ou sur la communauté cubaine en Floride. Cela reste en toile de fond et ce n’est jamais exploré. Les différences entre l’enseignement et la pédagogie à Cuba et aux Etats-Unis (les frais d’admission, l’égalité des chances, les compétitions) ne sont pas non plus évoquées. Le réalisateur reste concentré sur son protagoniste, en empathie avec lui. Comme pour symboliser le tête-à-tête et/ou la relation entre le protagoniste et son réalisateur, à plusieurs moments dans le film, Alexis entame une chorégraphie pour la caméra de Salinas, il lui offre sa grâce et son énergie.
Dualité
Si Alexis semble bien savoir qui il est comme adolescent (un danseur cubain), l’enjeu du film repose plus sur le futur du jeune homme, le chemin qu’il va emprunter, sa future carrière internationale. Une des scènes clés du documentaire est celle entre le fils et le père, qui, le jour des 18 ans d’Alexis, le prend à part pour lui rappeler ses racines, sa culture, son éducation. Le film oscille en permanence entre cette double appartenance. Le réalisateur monte bout à bout deux séquences fortes et emblématiques : la scène de remise des diplômes à la HARID School qui symbolise le rêve américain, et le retour du jeune prodige dans sa terre natale. Alors que l’épilogue du film est situé à Cuba, le futur d’Alexis, lui, est bel et bien aux Etats-Unis.
Marion Czarny
Référence : Cuban Dancer, Réal. Roberto Salinas, Italie-Canada-Chili, 2020, Coul., 98 min.
Photo : ©DR