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Les choses qui sauvent : réapprendre à vivre

« Sa douleur ? Elle n’y songeait plus vraiment. Elle se sentait comme anesthésiée. D’où peut-être ses étourdissements ? Elle n’avait plus l’habitude de vivre sans la menace de sa souffrance. Il lui faudrait du temps pour s’habituer. Elle ne se faisait toutefois pas trop d’illusions. Tout cela était si soudain, si improbable. Peu importait que ça marche ou non avec lui, elle avait besoin de s’accorder une chance d’aller mieux. » (p. 168)

Kathrin a 52 ans, elle est psychiatre et, depuis le départ de son mari Georges, bourrée d’incertitudes qui l’empêchent de vivre. Alors qu’elle est baignée dans l’incompréhension, il devient urgent pour elle de se laisser une chance d’aller mieux. Le voyage en Égypte avec son amie Valérie, le rapprochement avec son fils Éric, les visites répétées à la mère de Georges dans un EMS en Valais : rien n’y fait. Et autour d’elle, sa famille et ses amis, personne ne parvient à y changer quoi que ce soit, alors qu’elles et eux aussi sont empêtré·e·s dans leur égoïsme, leurs petites lâchetés et autres problèmes, malgré l’espoir qui point à l’horizon. Jusqu’à ce qu’elle rencontre, un peu par hasard, Bernard, cet informaticien un peu maladroit qui tente de la séduire. C’est toute cette galerie de personnages que se propose de suivre Guillaume Favre dans son premier roman, Les choses qui sauvent, paru aux éditions Faim de siècle et Cousu mouche en 2012.

Des pensées qui s’enchaînent

Les choses qui sauvent est décrit, sur son quatrième de couverture, comme un « roman subtil et poétique ». Pour parvenir à ce résultat, Guillaume Favre choisit de construire son texte comme une suite de focalisations internes :si le narrateur raconte tout à la troisième personne, ce sont les pensées des personnages qui sont dévoilées. À l’aide de phrases courtes mais percutantes, l’auteur parvient ainsi à nous faire entrer dans la psychologie profonde de chacun·e, pour mieux comprendre la complexité des êtres. Kathrin, personnage central, prend ainsi une place très importante, la majorité des chapitres lui étant consacrée. Au fil des pages, nous suivons son évolution, mais aussi ses souvenirs, par bribes. Le départ de Georges demeure mystérieux jusqu’aux toutes dernières pages du roman, créant non seulement une forme de suspense, mais permettant également d’avoir une certaine empathie pour Kathrin, coincée dans cette situation sans pouvoir véritablement avancer. On citera également Valérie qui, sous ses airs de bourgeoise un peu excentrique, s’inquiète profondément du malheur de son amie et fait tout pour que cette dernière aille mieux, avec une certaine maladresse. Mais on ne peut qu’avoir de la tendresse pour Étienne, le frère de Georges, et son histoire bien plus sombre qu’il n’y paraît au départ, lui qui s’invente des souvenirs et des rêves tous plus culpabilisants les uns que les autres :

« La silhouette se dressait là, de dos. C’était Georges à n’en point douter, debout, sur l’arête de la pente abrupte. La main appuyée sur un câble distendu qui faisait office de barrière, on aurait dit qu’il contemplait le panorama. De peur de l’effrayer, il n’osa plus bouger. Georges plia soudain les genoux et balança ses bras en arrière comme s’il s’apprêtait à sauter d’un plongeoir. Il se précipita pour tenter de le retenir mais, glissant sur une pierre, tomba à la renverse. Georges avait dû sauter ! » (p. 124-125)

Des mystères tout en subtilité

On a parlé de l’aspect poétique de ce roman, il nous faut encore évoquer sa subtilité. On l’aura déjà perçue à travers la complexité des personnages et de leur monde intérieur. Mais cette subtilité se développe aussi dans les relations entre les divers protagonistes, les non-dits que seul·e le·la lecteur·trice peut comprendre, grâce aux pensées des personnages. Kathrin ne comprend ainsi pas Étienne et sa relation avec Érika, plus jeune que lui. Les deux artistes excentriques semblent ne penser qu’à eux, et pourtant… Étienne a promis à son frère de s’occuper d’Éric et de le soutenir, quoiqu’il arrive. Il est également le seul, et on l’apprend dès les premières pages du roman, à avoir aidé Kathrin lors de son déménagement. Ajoutez à cela la culpabilité avec laquelle il s’accable, et vous comprendrez que sa situation est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Et l’on pourrait en dire de même d’Éric, de Valérie, ou encore de Bernard. Mais pour le comprendre, le mieux est sans doute de lire Les choses qui sauvent.

Questionnons-nous encore sur ce titre : sans en dévoiler les détails, on peut simplement dire que chacun·e s’accroche à ce qui le ou la sauve. Qu’il s’agisse d’une relation amoureuse, de l’art comme d’un exutoire, de l’enfermement dans une forme de solitude, tout·e·s les protagonistes ont ce besoin, et c’est qui les rend profondément humain·e·s. On a toutes et tous, sans doute, une part de chacun·e d’entre eux ou d’elles. Point important qu’il nous faut également souligner à ce niveau : tout se passe entre Genève et le Val-d’Anniviers. Du quartier de Saint-Jean à celui des Charmilles, en passant par Sierre et Martigny, on prend beaucoup de plaisir à suivre les personnages dans leurs déambulations, grâce aux descriptions toujours riches de Guillaume Favre sur les lieux qui sont si chers à ces personnages.

Rappelons un élément en guise de conclusion : Kathrin est psychiatre et aide ses patients à aller mieux, sans pour autant y parvenir pour elle-même. Le roman pourrait ainsi agir comme un miroir d’une forme de thérapie. Et si Les choses qui sauvent pouvait, à sa façon, nous aider à mieux nous comprendre et à nous sauver nous aussi ?

Fabien Imhof

Référence : Guillaume Favre, Les choses qui sauvent, Éditions Faim de siècle & Cousu mouche, 2012, 215p.

Photo : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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