Les tomates miraculeuses
Hiba Najem est une performeuse libanaise qui propose un théâtre participatif et culinaire. Sa dernière proposition, Fatayer bi banadoura (Chaussons aux tomates), était à déguster dans le cadre bucolique de la Villa Bernasconi trois jours durant.
Il y a comme un air de vacances ce dimanche-là du côté de la rivière du même nom[1].On a l’impression d’être ailleurs. Peut-être pas au Liban mais en tout cas quelque part plus au Sud… On patiente en buvant un verre, ébaubi devant la luxuriance de cette végétation en pleine ville. On flâne entre le stand de livres et les téléphones de la Bibliothèque des femmes[2]. Et l’heure des chaussons aux tomates sonne. Sur l’esplanade de la Villa Bernasconi, on est alors convié·e·s à une longue table de 40 personnes qui viennent écouter l’artiste libanaise Hiba Najem.
Dans une élégante robe, Hiba Najem arrive, armée de persil et d’un long couteau. Elle rejoint le banquet et nous explique qu’à Beit Chahab, village de son enfance au mont Liban, les femmes avaient coutume de préparer des chaussons aux tomates lorsqu’un couple se séparait. Les fatayer bi banadoura sont en effet connus pour être un remède contre les peines de cœur… Elle parle en coupant un oignon et en évoquant sa propre rupture avec un certain Fabien. En même temps chacun·e est amené à écrire sur une feuille le prénom de quelqu’un qui lui a brisé le cœur.
La performeuse culinaire entretient ainsi une mémoire vivante avec des petites traditions qui risqueraient sinon de tomber dans l’oubli. La recette des chaussons aux tomates lui permet de reconvoquer autour de la table les femmes du village et leurs mille récits. Hiba Najem passe alors aisément de l’épopée séculaire de la tomate à des histoires de cœur, d’amour, de vie et de mort avec une belle présence et un humour tout en retenue. L’ensemble est frais, léger et profond à la fois. Et cela donne envie de mieux connaître ce coin du monde.
Chaque spectateur·ice est ensuite encouragé·e à faire son propre chausson aux tomates en ayant reçu religieusement un peu de pâte brisée de la main d’Hiba Najem. Celle-ci récite alors les prénoms de tous les briseurs de cœur (notés sur la feuille) comme pour exorciser le chagrin et permettre à la vie de continuer. Le temps que lève la pâte, le public aura encore droit à quelques traditions bien senties comme les tomates à l’arac ou la lecture de faire-part mortuaires pas piqués des hannetons, du style : « Sans Mimi, tu serais mort depuis longtemps. Maintenant qu’elle est partie, qui va s’occuper de faire ton café ? » Autant d’épices délicieuses pour traverser les aléas de l’existence.
Chose promise, chose due, la performance se termine par la dégustation des fatayer bi banadoura. Autour de la table, les gens parlent, sourient, se rencontrent en se passant les plats de chaussons et quelques verres d’arac. Peut-être même que certain·e·s auront trouvé l’amour ce soir-là… ?
Stéphane Michaud
Infos pratiques :
Fatayer bi banadoura, de Hiba Najem, à la Villa Bernasconi, dans le cadre de La Bâtie – Festival de Genève, du 5 au 7 septembre 2023, reprise au Pommier les 30 et 31 octobre 2024.
Avec Hiba Najem
Photos : © Stéphane Michaud
[1] L’Aire est une rivière d’une vingtaine de kilomètres qui traverse le canton de Genève et se jette dans l’Arve.
[2] https://www.batie.ch/fr/programme/gilbert-julie-la-bibliotheque-sonore-des-femmes