La plume : BA7 / MA7La plume : créationLa plume : littérature

Lexique autobiographique : autoportrait

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style ! 

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas ! 

Aujourd’hui, c’est Agathe Magand qui prend la plume et la parole pour dresser son lexique intérieur…

* * *

Autoportrait

Autoportrait — Tout autoportrait est impossible à figer. La photographe se fond dans l’existence des envols artificiels, le cœur perd sa composante poétique pour devenir matériel, le papillon meurt très vite après s’être envolé, le bleu ne se reflète pas dans un miroir, la peau qui se renouvelle a besoin d’un artiste. L’autoportrait, éphémère, dure au mieux le temps d’un flash. Mais c’est l’instant vécu, discret, qui a le pouvoir d’éterniser l’essence d’une photographie. Lorsque le regard s’attarde sur une autre vie, l’être qui crée peut redéfinir la sienne. Il permet à l’art et à l’être de fusionner, de faire jaillir des traits depuis le commencement.

Bleu impalpable — Je l’observe dans le reflet du miroir, entourant mes pupilles. Il change souvent d’apparence, dissimulant son essence sous des teintes chaudes. Le bleu gouverne le ciel. Je l’associe aux mouvements atmosphériques qui dépassent les êtres humains. Les oiseaux sont les seuls à parvenir à traverser sa matière légère. Toujours en mouvement, la couleur migre, se transforme. Les émotions contenues dans les fibres du bleu présentent un instantané impalpable.

Cœur — Le cœur est un organe vital. Il possède deux oreillettes et deux ventricules, permettant de faire circuler le sang dans tout le corps. Il interagit avec d’autres systèmes mais conserve une identité propre. Il oublie souvent son rôle premier, car il rythme autre chose que des projections de sang contre des parois anonymes. Le cœur, sous sa forme la plus noble, cadence les fluides passionnés, pousse son hôtesse à saluer la beauté des émotions, divisées en de multiples sources de vie. Je l’observe attentivement, le rythme du cœur.

Peau — Lorsque la peau, salie au sens propre, décide de passer sous l’eau, le résultat est toujours le même : la surprise n’est pas au rendez-vous. Lorsque la peau, sous ses autres formes, purifie sa matière, une odeur différente s’échappe des tissus. Le papier invente un nouvel alphabet, les ailes douces se muent en un cliché, les poudres colorées deviennent voix. J’observe souvent cette peau, qui ne s’altère pas mais qui se renouvelle sans cesse. La créativité naît de l’envie de raviver la vie en se délestant du superflu, imitant la peau.

Papillon de nuit — Ses ailes se referment sur le vent de l’hiver. À leur surface, la couche de poudre n’est pas perturbée par la blancheur de la neige. Malgré le froid, une étincelle gît au fond de son corps. Je ne suis pas faite pour capturer ce genre de créature. Je cherche plutôt à capturer sa durée. Sans dire un mot, je l’observe simplement renaître, à l’aube de la nouvelle année. Les étoiles, formant un cadre lacté et brillant, accueillent quelques secondes immémoriales. Sous les branches d’un sapin fumant s’envole le papillon de nuit.

Photographe — La photographe n’est pas celle à qui l’on pense. Nous ne la voyons pas. Elle nous échappe. Elle tente en vain de faire durer les instants capturés : le ciel avant les nuages, le papillon d’hiver qui s’envole, les peaux neuves de l’art. Revenant à l’instant présent, elle distingue le rythme de son cœur : elle est vivante. Que va-t-elle faire maintenant ? Se perdra-t-elle dehors, en se promettant de ne pas désespérer, en confiant sa foi à une part d’éternité ? Pour elle, même l’idée de renaissance est éphémère. Qu’est-ce que cela veut dire, être photographe ?

Agathe Magand

Photo : © suju

Ce texte est tiré de la volée 2020-2021, animée par Éléonore Devevey.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

La Pépinière

« Il faut cultiver notre jardin », disait le Candide de Voltaire. La Pépinière fait sienne cette philosophie et la renverse. Soucieuse de biodiversité, elle défend un environnent riche, où nature et culture deviendraient synonymes. Des planches d’une scènes aux mots d’une page, des salles obscures aux salles de concert, nous vous emmenons à la découverte de la culture genevoise et régionale. Critiques, reportages, rencontres, la Pépinière fait péter les barrières. Avec un mot d’ordre : jardinez votre culture !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *