Lexique autobiographique : deux textes, deux êtres

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, Ekreme Qazimi et Matthieu Schmidt vous proposent de les découvrir, au fil de la plume, à travers les mots qui les définissent le mieux…

* * *

Faire tomber l’ancre : autoportrait littéraire

Tomber du ciel : Voilà que je fus éjectée à cet endroit, devant lui. Il avait besoin de moi et j’étais là. Il n’avait rien demandé, il n’espérait plus rien. J’étais venue à lui sans effort, à un moment parfait.

Tomber amoureux : Et sans y prêter attention, j’allais au plus profond de son cœur. Puis je tombai dans ce piège, celui où on n’en ressort plus. Je contemplai les chemins de son cœur, qui étaient parfaitement dessinés pour moi. Je me sentais en sécurité et il m’était impossible d’en sortir.

Tomber dans le panneau : Par naïveté, je fermai les yeux et continuai à avancer dans ce joli cœur. J’avançai et soudain je me pris un panneau. Il était pourtant si prévisible. Mais cela ne me fit pas aussi mal que je le pensais et je continuai.

Tomber de la lune : Etonnée, j’appris que ce cœur avait une porte de sortie. À l’extérieur, il existait bien un autre univers.

Tomber de haut : Enfin je compris que ce cœur n’était pas si sûr. Il n’aurait peut-être pas assez de place pour moi. L’illusion fut détruite par la réalité.

Ekreme Qazimi

* * *

Mon vallum alphabétique

Adverbe : c’est typiquement le genre de mot qu’il utilise bêtement pour toujours se donner raison.

Langueur : rime facilement avec torpeur. Encore l’un de ces mots à la mode qu’il contribue à dénuer de sens en l’utilisant parfois trop et souvent à tort. Un peu comme ces déictiques qui essayent de prendre les lecteurs à partie ; à force de trop les employer, on ne sait plus ce que c’est que ces langueurs.

Littérature : bon résumé de ma vie, composée de « lit » et de « ratures », mais sauvée par leur combinaison.

Mimétisme : probablement par excès de compassion et d’admiration pour autrui, il reprend des locutions par manque d’imagination, il reproduit la gestuelle d’un singe de ses amis, communie avec le bègue et le québécois.

Usager : des transports publics, d’un banc ancestral d’université, de livres de bibliothèque, d’une planche à roulettes, d’un trottoir mal formé, de services de santé, d’une salle d’attente, d’une salle d’attente, d’une salle d’attente, de la 4G, de la batterie fatiguée de mon natel, d’une attelle, de mon exaspération, de mes émotions et de ma vie.

[vɛʁ] :
c’est ce qu’il aime
le voir dans le feuillage ou aller en boire un
pas comme un trou
mais juste assez pour en écrire quelques-uns

Note d’intention de l’auteur : le glossaire en lui-même est aisément saisissable, mais le titre nécessite une explication. Si l’on rompt la contrainte alphabétique, les initiales de chaque entrée peuvent former le mot latin « vallum », soit une petite palissade de défense utilisée par l’armée romaine. J’ai choisi ce mot parce que c’est ma première petite entreprise autobiographique ; j’ai ressenti une mise à nu assez angoissante et ai donc choisi un système de défense contre ce sentiment, soit six entrées (le double-sens du mot « entrée » rend l’explication assez ironique) formant un petit vallum qui cache un bon nombre d’autres entrées que je n’oserai probablement jamais écrire…

Matthieu Schmidt

Ces textes sont tirés de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey.

Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

Photo : ©Free-Photos