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Mondes imaginaires : berceaux de légendes

L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées à une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs. 

Mondes Imaginaires proposent donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offrent des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires proposent un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participants peuvent, s’ils le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !

Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Aujourd’hui, Sébastien Aubry prend la plume, dans un atelier dédié aux lieux comme berceaux de légendes. Cap sur les sources du Doubs… et bonne lecture !

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Un lieu idyllique

Il existe, dans la chaîne du Jura, une rivière qui, de nos jours, sert en partie de frontière naturelle entre la Suisse et la France : il s’agit du Doubs. Affluent de la Saône, il prend sa source près de Mouthe, en Franche-Comté. Surgissant d’une grotte, taillée par le temps et l’érosion dans les falaises calcaires, l’eau bouillonnante s’écoule en cascades jusqu’au bassin déversoir au pied du rocher, où l’onde se fait plus paisible et transparente. C’est un lieu enchanteur, baigné de quiétude, illuminé par le miroitement de l’eau qui clapote, pénétré par un silence digne d’un édifice sanctifié. La nature y est verdoyante et le cadre idyllique. Ce dernier est en effet imprégné du charme et de la magie des anciens mythes et légendes, lesquels ont forgé l’identité des bêtes et des hommes téméraires qui sont venus s’abreuver depuis la nuit des temps de ce liquide cristallin qui ruisselle et, en aval, se perd dans les tourbières. Pour peu que l’on soit attentif, on entendrait presque encore le rire malicieux des fées et le bruissement des ailes des lutins frôlant l’écorce des arbres centenaires. En effet, entourant cet endroit d’où sourd cette eau miraculeuse, une épaisse forêt est garante de la préservation de l’intégrité de la source. Et cela depuis que la magie des âges anciens s’en est évaporée…

Car il fut un temps où la protection de l’endroit ne dépendait pas de la seule impénétrabilité sylvestre, mais d’un pouvoir tel que la crainte de ce dernier décourageait les humains de s’aventurer au plus près des flots bienfaisants. Les fées et les lutins, qui virevoltaient comme suspendus dans l’atmosphère moite mêlant bouffées d’oxygène et nuages de vapeur au-dessus du grondement des cataractes, invitaient pourtant tout être vivant, homme ou bête, à venir s’y désaltérer, pour peu qu’il ait réussi à traverser l’impénétrable forêt environnante. Pourtant, dans l’obscurité humide de la grotte, une sinistre créature avait élu domicile, patiente et à l’affût, gardienne de la source depuis les temps immémoriaux où la première goutte d’eau avait jailli de la roche couverte de mousse. Peut-être ce monstre, dont les stalactites ornant le plafond de l’antre instillaient dans l’âme des mortels la terrifiante vision des crocs acérés du cerbère, était-il l’artisan même de ce miracle géologique, la cause primordiale à l’origine du miracle de l’eau, la divinité élémentaire et tellurique de la source. Nul ne connaissait son nom. Mais sa présence était indéniable, comme en témoignait le grondement du vent qui, s’engouffrant dans la funeste cavité rocheuse, retentissait comme l’écho d’une légion de furies célestes faisant résonner de concert les trompettes d’airain du Jugement Dernier. Parfois à la nuit tombée, entre chien et loup, quand les nuées de lucioles émergeaient de l’anfractuosité empanachés du manteau brumeux du soir, on aurait pensé qu’un dragon se tenait devant l’entrée de la grotte et usait des artifices flamboyants de sa gueule ardente pour décourager toute intrusion intempestive. C’était un lieu maudit. C’est en tout cas ainsi que le décrivaient la tradition orale et les chroniques des premiers érudits : un endroit de magie et de ténèbres. Cette perception faussée était vraisemblablement la résultante de l’obscurantisme du temps jadis, des effets pervers des vapeurs d’absinthe sur le discernement des gens du cru d’alors, ou simplement de la méconnaissance des éléments naturels et de leurs prodiges fantasmagoriques. Car, le temps passant inexorablement, la créature en vint à se faire de plus en plus rare, à mesure que le voile du mystère qui l’entourait se dissipait. Puis elle disparut totalement de la mémoire des hommes.

Et la source du Doubs fut rendue à la nature. Ainsi renaquit la formidable félicité, absoute de toute crainte, que l’accès à une eau pure et fraîche, qui plus est dans un lieu idyllique, fait sourdre dans le cœur des gens en quête tant d’authenticité que de rêverie.

Sébastien Aubry

Photo : © Free-Photo

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