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Mondes Imaginaires : crimes fantaisistes

L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées à une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs. 

Mondes Imaginaires proposent donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offrent des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires proposent un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participants peuvent, s’ils le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !

Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Aujourd’hui, David Weber vous parle… d’écureuil. Bonne lecture !

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Gonfler un éléphant par la trompe.

Dans un royaume fort fort lointain vivaient des animaux en parfaite harmonie. Les lions mangeaient les gazelles, qui mangeaient de l’herbe, elle-même nourrie par la décomposition des lions morts. Bref, la parfaite harmonie naturelle. Tout le monde avait son rôle.

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Jusqu’à ce qu’une chose étrange et inattendue arrive dans ce cycle bien rodé. En effet, la nature aime l’évolution, c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a différents animaux qui ont développé diverses caractéristiques. Mais un jour, un éléphant se posa des questions. Que se passe-t-il si je fais ça ou ça ?, mais personne ne lui répondait, car personne ne savait et pour dire vrai, personne n’y trouvait d’intérêt. Ce manque de réponse le taraudant, il commença donc à tester toutes sortes de petites choses différentes.

On retrouva un crocodile mort noyé : expérience numéro 1 : jusqu’à quand un crocodile pouvait-il retenir sa respiration ?

Un paresseux mourut de stress : expérience numéro 2 : que se passait-il si on ne laissait pas un paresseux dormir ?

Un lionceau mourut dévoré par sa propre mère : expérience numéro 3 : est-ce que déguiser un animal pouvait changer l’ordre naturel des choses ? L’éléphant était assez fier de la carcasse de bébé gazelle qu’il avait trouvée… et d’avoir convaincu le lionceau de se déguiser avec.

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Bref, le chaos s’installa gentiment, mais notre petit éléphant, appelons le Babar, était rayonnant. Il trouvait enfin des réponses à ses questions. Cependant, son environnement commençait à devenir hostile. Les animaux qu’il croisait commençaient à le regarder avec des airs de reproche et de franche hostilité. La lionne qui avait dévoré son petit l’acculait de plus en plus souvent contre des rochers ou au bord des falaises. À chaque fois, elle n’allait pas jusqu’au bout, car à chaque fois un animal qui passait par là les avait croisés. Il comprit qu’elle n’osait pas le forcer à choisir entre le vide et ses crocs, tant qu’elle pourrait être accusée du forfait de perturber l’ordre naturel des choses. Mais il savait aussi qu’un jour, personne ne serait là et qu’il y passerait. Il préféra donc quitter cet environnement où il était incompris et partit, un peu bougon, mais en même temps enthousiasmé par les découvertes, les questions et les réponses que les prochaines contrées qu’il allait visiter lui révéleraient.

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Il alla donc à l’est se promenant, mangeant et buvant. L’avantage d’être un gros animal est qu’on ne craint pas grand-chose.

Il arriva dans une partie de la savane qui ressemblait à la sienne : les animaux ressemblaient à ceux qu’il connaissait, mais ce n’était pas les mêmes. Cependant, il ressentit un malaise. Quelque chose n’allait pas ici, l’ordre naturel était perturbé.

Alors qu’il approchait d’une gazelle de son pas de lourdaud, celle-ci le vit, se figea, puis partit en galopant. Il resta abasourdi… mais qu’avait-il donc fait ? Il s’approcha prudemment d’un lion, les lions et les éléphants en général étaient en bons termes. Mais celui-ci se hérissa, fit le gros dos et rugit à s’en rompre les cordes vocales. Lui ? Faire peur à un lion ? Alors qu’il repartait, sa petite queue entre ses jambes, il sentit une odeur bizarre, plus il se rapprochait plus l’odeur était précise : sang, entrailles, décomposition. Il vit une sorte de masse informe explosée au sol. Comme un énorme ballon rempli de chair et de sang qui aurait éclaté. Il se demanda ce qui s’était bien passé. Il s’approcha curieux et tata le mélange d’organes en lambeaux et de morceaux d’os ressemblant à des échardes. Impossible de reconnaitre l’animal d’origine. Peut-être était-ce une espèce inconnue ? Était-ce vraiment mort ? Il s’assit sur son postérieur et observa. En regardant attentivement, on pouvait voir la masse bouger. Il se dit qu’il avait trouvé une nouvelle espèce. Se rapprochant tout excité, il reconnut les mêmes êtres vivants qu’il avait l’habitude de voir sur les cadavres : vers, asticots, mouches, etc. Ça grouillait et donnait l’impression que la masse était vivante. Il se rassit sur son postérieur avec déception. Rien de nouveau. Le cycle de la vie. Alors qu’il se demandait tout de même si le cadavre qu’il avait sous les yeux était d’une nouvelle espèce ou d’une espèce rendue méconnaissable par ce qu’il lui était arrivé, il entendit un BOUM ! qui fit trembler la terre, et un souffle d’odeur putride et de sang frais lui caressa la trompe. Ce n’était pas si loin, il se remit sur ses pattes et courut en faisant trembler la terre de ses pattes de pachydermes.

De nouveau, une masse comme éclatée au sol, près du plan d’eau, mais plus ovale cette fois, l’odeur était fraîche. En regardant autour de lui, il vit une petite queue grise qui lui semblait familière disparaitre dans un fouillis d’arbustes. Il n’en crut pas sa trompe ! Il poursuivit cette petite queue qui se balançait, pendant que les arbustes se faisaient à moitié piétiner par la masse à laquelle elle appartenait.

Il courut encore et encore, mais cette petite queue ne se rapprochait pas, les animaux fuyaient devant eux, jusqu’à arriver à un ravin. La petite queue s’arrêta ainsi que la masse qui la transportait, et elle essaya de se cacher entre les jambes d’une magnifique pachyderme. Elle se retourna. Il n’en avait jamais vue de pareille : elle était sur de longues pattes fines, une belle croupe, un dos en courbes et lisse, des oreilles bien rondes et une trompe. Mais quelle trompe! Grande, mais puissante avec des naseaux d’une taille disproportionnée.

Elle était la plus belle créature qu’il ait jamais vue. Elle le vit et il comprit. C’était la première fois qu’elle voyait un éléphant, alors qu’elle en était elle-même un ! Elle était entre apeurée, intriguée et surexcitée. Ils se tournèrent autour et commencèrent à discuter en barrissant.

Ils se découvrirent tellement de points communs, à commencer par cette incroyable curiosité.

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Ainsi commença l’exode de la partie qu’on appelle maintenant le Sahara. Cette région était auparavant constituée de grandes steppes, mais avec la migration de tous les animaux, la terre ne fut plus entretenue, les arbres ne se trouvant plus d’utilité moururent, et le sable qui, lui, n’avait aucune idée de son utilité prit juste la place laissée vacante.

Les deux éléphants, qui vivaient d’expériences et d’eau fraiche, se retrouvèrent bientôt à court des deux. Plus de sujet pour leurs expériences et trop d’eau gaspillée à force de s’amuser avec.

Alors que Babar se demandait quelle nouvelle expérience il pourrait réaliser, il chercha autour de lui un sujet. Il se rappela avec nostalgie toutes ses expériences et il est vrai que cela avait été tellement plus intéressant de les faire à deux, de pouvoir partager, de se lancer des challenges et de comparer leurs résultats. Il avait bien aimé faire exploser des animaux : ça avait été tellement drôle de leur fourrer la trompe dans le derrière et souffler, souffler ! Il avait aussi essayé une fois d’aspirer, mais il n’avait pas trop apprécié le goût. Bien que le résultat était assez amusant.

Alors que Nana, la belle éléphante arrivait de façon lascive, il se plaignit du manque de sujets d’expérience. Alors elle lui dit qu’elle avait vraiment apprécié ces moments tous les deux, mais qu’elle commençait à s’ennuyer… elle voulait autre chose, elle voulait elle-même savoir. Il comprit ce qu’elle voulait dire et il trouva cela magnifique, comme dernière expérience. Car lui aussi était jaloux : ne pas savoir ce que les autres enduraient, n’être que l’expérimentateur et non le sujet… cela ne lui suffisait plus. On ne vivait que la moitié de l’expérience.

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Leurs trompes s’enlacèrent amoureusement pour la dernière fois, puis allèrent chacune dans le postérieur de l’autre. Ils se regardèrent une dernière fois amoureusement, et surexcités, comptèrent mentalement dans leur tête, prirent une grande inspiration et soufflèrent.

Jessica Vonlanthen

Photo : ©kolibri5

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