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Mondes imaginaires : déclamation au parc (1)

L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées à une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs. 

Mondes Imaginaires proposent donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offrent des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires proposent un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participants peuvent, s’ils le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !

Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Aujourd’hui, David Weber vous parle… d’écureuil. Bonne lecture !

Covid-19 oblige, Mondes Imaginaires ont été contraints d’adapter leur offre d’été… en faisant preuve d’innovation ! Afin que les distances sanitaires soient respectées, les trois organisatrices ont mis sur pied un atelier entièrement dédié à… la déclamation. L’idée ? Chacun.e recevait un sujet et une liste de figures de style : le défi consistait à écrire un texte qui contienne (si possible) les critères imposés. Les textes ont ensuite été performés en public, sous le soleil du parc des Bastions. Chaque texte a donc été pensé pour être prononcé à haute voix, ce qui explique la présence de certaines indications de jeu ou de ton.

« Déclamation », vous avez dit ? C’est ce qu’on vous propose de découvrir ! Dans ce premier texte, un héraut bien embarrassé s’adresse au roi Arthur…

* * *

De la diplomatie

À sa Majesté, le roi Arthur de Camelot,

              Suzerain Z-et seigneur des Îles de Bretagne-Z-et d’Irlande,

              Protecteur Z-et pourfendeur du Royaume de Logres,

              Maître Z-incontesté des terres de basse Bretagne, d’Écosse Z-et de France.

À sa Majesté le roi Arthur – SALUT.

*

Avant de vous donner lecture de la lettre que mon seigneur et maître vous adresse, permettez-moi, si vous le voulez bien, de mettre ladite lettre en contexte.

Vous verrez, ça sera utile.

*

Vous voyez paraître devant vous, brillant seigneur, un héraut aussi malheureux que mal à l’aise.

Que n’aurais-je donné, moi, pauvre bougre qui n’a de Crésus que le nom, pour me trouver Z-ailleurs ? Que n’aurais-je donné, dis-je, pour courir les routes de la liberté, tel un troubadour trouvant gîte Z-et couvert au détour des chemins, la harpe Z-à la main et le vers Z-aux lèvres ?

(boire un coup dans le verre, regarder le verre)

Que n’aurais-je donné, donc, pour m’embarquer Z-à l’aveuglette, vêtu de probité et de lin blanc, dans quelque quête Z-héroïque où j’aurais chanté la geste de brillants compagnons de voyage ? Que n’aurais-je donné…

*

Mais assez !

Laissons là ces rêves d’espérance ! Quand le poète boit à la mamelle des Muses, le scribouillateur sans le sou suce avec dépit la pointe de sa plume, qui jamais ne lui donnera de quoi vivre ! Je pourrais, certes, vous tenir un discours vibrant d’éloquence sur la condition des gens qui partagent la mienne. Alea jacta est et spiritus omnibus. Ça ne veut rien dire, mais je trouvais que ça sonnait pas mal. Je pourrais arguer les conditions salariales révoltantes Z-et les cachetons de misère – sans parler des indemnités pitoyables qui sont le pain quotidien de ma profession !

Crapahuter à travers le monde pour porter les paroles d’un autre – et pour des prunes, en plus !… – voilà ce qui s’appelle, à la vérité (vous me passerez l’expression), se la prendre bien profond dans le…

Enfin bref. Vous me comprenez. (pause) Revenons donc Z-à nos moutons et nos vaches seront bien gardées.

*

Sagace souverain, je ne vous le cache pas – l’heure est grave. Un rappel de la situation est néanmoins nécessaire. Rassurez-vous : je serai bref.

Voilà cinq ans – déjà !… que le royaume de Caamelott rayonne : de l’Irlande Z-au Midi, des septentrions de l’Écosse aux contreforts de Brocéliande, vous régnez en maître. Vos chevaliers sont craints, votre trône aimé et, pour peu que vous ne vous entouriez pas d’une bande de bras cassés, le Graal tombera bientôt dans votre escarcelle. – (aparté) Ou pas.

Cinq ans. – C’est long. Or donc, en cinq ans, qu’avez-vous Z-accompli ? Peu de choses, diront certains (des jaloux, des méchants !). Tout, répliqueront d’autres (des flagorneurs). De votre règne, on retiendra (vous m’excuserez d’étaler vos louanges, mais je procède ainsi afin de réveiller l’auditoire qui s’endort dans le fond…) – on retiendra, dis-je, votre propension phénoménale à mener à bien toutes sortes de quêtes.

*

Les quêtes, sire Arthur, sont précisément et exactement la raison de ma présence devant vous aujourd’hui. J’ai ici…

(pause, agiter le texte en cherchant)

…quelques chiffres – oh !… trois fois rien – des statistiques, des rapports d’activités détaillés courant sur les cinq dernières années. La lecture en est aride, certes – mais le contenu, édifiant. Or donc. (pause) Or donc, si je dresse le bilan – vous avez, en cinq ans :

(effet liste : accélérer le rythme)

  • Arraché un coupe-chou d’un rocher, alors que personne d’autre n’y arrivait (je me suis laissé dire que ce coupe-chou s’appelait Excalibur) ;
  • Lié d’amitié avec une Dame du Lac que personne d’autre que vous ne voit ;
  • Engagé, en CDI, le meilleur enchanteur de Bretagne, et avec une rente AVS assurée à la retraite (je ne parle même pas du 2e pilier) ;
  • Construit un château dont personne ne sait orthographier le nom avec certitude ;
  • Rassemblé, en ce dit château, une première cohorte de 35 chevaliers, que vous avez réuni autour d’une table (ronde), sans doute achetée chez un géant suédois et montée en kit dans la plus grande salle de votre gigantesque baraque ;

(pause) Nianiania… vous avez aussi :

  • Sorti du chômage une dizaine de scribes, afin de compiler une légende propre-en-ordre pour s’assurer qu’on parlera toujours de vous dans 1’500 ans ;
  • Engagé, en moyenne et par année, 7 nouveaux chevaliers – ce qui, en 5 ans, fait environ 35 nouvelles têtes (si mes calculs sont exacts) et porte votre cheptel à 70 gus prêts à tirer le fer pour sauver la jouvencelle.

Les jouvencelles, parlons-en. Pour occuper lesdits gus et trouver de quoi écrire une légende, quoi de mieux que de lancer vos chevaliers sur la piste des demoiselles en détresse ? C’est pas ça qui manque dans les forêts bretonnes, vous me direz : la condition de « demoiselle en détresse » paraît visiblement bien plus attractive pour les jeunes filles que celle de cagaudes de la taverne… bon, entre les péouzes du coin et des chevaliers en armure, il faut dire que le choix est vite fait.

Mais ne perdons pas le fil.

Si nous croisons les chiffres, nous constatons que les demoiselles en détresse constituent une part non-négligeable de vos activités héroïques : pas moins de 40% des quêtes menées au nom de votre radieuse couronne. – Allons plus loin encore. Sur 289 demoiselles secourues ces 5 dernières années, 280 l’ont été avec succès ; les 9 autres s’étant révélées être des indécises qui ne voulaient pas qu’on les sauve finalement (merci bien pour elles), ou des idiotes qui n’avaient rien compris à la condition de « demoiselle en détresse »… tant pis pour elles.

Néanmoins, ce ne sont pas les demoiselles qui retiennent ici mon attention. Je m’intéresse davantage aux 60% de quêtes qui restent. De quoi sont-ils constitués, me demanderez-vous ? Ahah, c’est là qu’est l’os, mon charmant seigneur – comme dirait l’autre.

*

Vous ne l’ignorez pas : les terres de mon suzerain voisinent les vôtres. Le fief de Morvan partage en effet avec le royaume de Caameloot une part non négligeable de forêts, marécages, montagnes et tertres en tous genres. Quel rapport, me direz-vous ? J’y viens, j’y viens.

Vous ne l’ignorez pas non plus : le peuple de mon suzerain est, essentiellement, composé d’individus d’assez grande taille et de très mauvais caractère, plutôt mal compris de nos jours – des individus qui, en outre, ont un penchant marqué pour l’or, les trésors, les vierges et les troupeaux de moutons. D’aventure, il arrive parfois que ces dits individus incendient des granges ou des villages – parce que vous savez, l’instinct, quand ça vous prend… bref.

Quel rapport, me direz-vous ? J’y viens, patience. – Ce peuple, s’il a connu il y a longtemps un âge d’or où il régnait en maître, est aujourd’hui accusé de tous les maux À raison, à tort ? Je suis héraut, pas juge. (longue pause)

*

Je vous la ferai courte et, pour ce faire, je tenterai de rendre ici le plus précisément possible la teneur de la lettre que vous adresse mon suzerain – teneur que j’ai préféré, vous le comprendrez aisément, draper sous le voile pudique de la politesse et des ronds-de-jambe diplomatiques. Ne pouvant, hélas, plus tergiverser à ce stade, voici donc le message que mon seigneur m’a ordonné de vous transmettre.

(pause – inspiration)

Au roi Arthur de Bretagne. Salut.

La prochaine fois – LA PROCHAINE FOIS que tu envoies tes CONNARDS de chevaliers dégommer mes sujets pour piller l’or de MES trésors, je CRAME ta famille. C’est clair ?!

Cordialement,

Le Roi Dragon de Morvan.

Magali Bossi

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Photo : ©Klimkin

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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