Philadelphia : aller au-delà des préjugés
En 1993 sort un film qui consacre Tom Hanks en tant que monument du cinéma, lui permettant de glaner son premier Oscar. Philadelphia traite du SIDA, de l’homophobie, et plus généralement du rejet et de la peur. Un film qui résonne dans le contexte actuel, avec toutes ses formes de discrimination.
S’inspirant de deux cas réels, le film met en scène Andrew Beckett (Tom Hanks), avocat auprès d’un des plus grands cabinets de Philadelphie. Du jour au lendemain, et alors qu’on venait de lui confier une grosse affaire, il se fait renvoyer. Le motif ? Il aurait perdu un dossier, retrouvé pourtant au dernier moment. Cette faute professionnelle lui coûte son emploi. Mais Andrew n’est pas d’accord. Persuadé d’avoir fait son travail correctement, il poursuit son désormais ancien employeur. Selon lui, c’est parce qu’il a le SIDA qu’on l’a remercié. S’en suit un long procès pour démêler le vrai du faux, sur fond d’homophobie et de préjugés.
Une raison difficile à déceler
Tout l’enjeu du procès sera de démêler le vrai du faux et de dégager la raison du renvoi d’Andrew. Difficile de prouver qu’il n’a pas perdu le dossier. Mais comment a-t-il pu passer du statut de jeune avocat adulé, à la carrière prometteuse, à une situation aussi extrême ? Tout cela parce qu’il aurait envoyé le dossier aux archives au lieu de le laisser sur son bureau ? Plus le procès avance, plus les marques sur sa peau se font présentes. Selon lui, ses employeurs avaient compris qu’il était atteint du SIDA, en voyant une marque sur son front. Une question s’ouvre dès lors : Andrew a-t-il délibérément caché sa maladie, de peur d’en subir de fâcheuses conséquences ? L’interrogation centrale du film s’avère bien plus profonde. Si sa maladie est la raison de son renvoi, cela a des implications bien plus graves. Dans les années 1990, le SIDA est encore méconnu : à l’époque, on croit qu’il ne peut s’attraper que par des relations homosexuelles[1]. Est-ce, alors, le virus ou l’homosexualité qui fait peur et qui a conduit au renvoi d’Andrew ?
Au-delà des préjugés
Lorsqu’il cherche un avocat pour le défendre, Andrew se heurte à un mur. Personne n’ose s’attaquer au grand cabinet de Charles Wheeler et associés, trop puissant pour s’y opposer. Voulant d’abord assurer sa défense lui-même contre ce licenciement abusif, son état de santé ne le lui permet rapidement plus. Joe Miller (Denzel Washington), avocat spécialisé en dommages corporels et qu’Andrew affronte dans un litige au début du film, décide finalement de prendre le dossier en main. Il est ici important de souligner que, dans un premier temps, il avait refusé de le défendre, dans une scène particulièrement marquante. Serrant d’abord chaleureusement la main d’Andrew, son attitude change dès le moment où celui-ci lui annonce qu’il a le SIDA. À partir de ce moment, tous ses gestes sont scrutés, avec des gros plans en caméra subjective sur ses mains, enchaînés avec les regards de Joe. On comprend qu’il a peur que son homologue contamine son cabinet et les objets qui s’y trouvent. Preuve encore une fois du manque de connaissances autour de ce virus, à l’époque. Pour ne rien arranger, Joe Miller est ouvertement homophobe. C’est une discussion avec sa femme, dont la tante est lesbienne, qui lui ouvre les yeux et lui permet de changer petit à petit son avis. La relation amicale qu’il développe avec Andrew lui permet d’aller au-delà de ses préjugés.
Une résonnance forte aujourd’hui
Les connaissances sur le SIDA ont, fort heureusement, beaucoup évolué et on en sait ainsi plus sur le mode de transmission du virus. Si l’homophobie existe toujours, elle est de plus en plus condamnée, et c’est tant mieux ! Mais, dans le contexte actuel, ce film m’impose une autre réflexion. Avec la montée des mouvements anti-racistes suite au décès de George Floyd et le #blacklivematters, c’est une autre forme de discrimination, due à la peur, à la méconnaissance et à des préjugés infondés qui est au cœur de l’actualité. Mais pourquoi ce lien m’est-il apparu si fortement en revoyant ce film il y a quelque temps ? Joe Miller est afro-américain. Il fait donc, lui aussi, partie d’une communauté discriminée, à l’époque comme aujourd’hui. Il a pourtant des préjugés sur une autre communauté. Il a cependant l’intelligence de ne pas rester sur ses prédispositions, d’écouter ceux dont il se moque et de tenir compte de l’avis de sa femme, dont le rôle n’est pas à négliger (on pourrait ici tirer un autre parallèle avec le féminisme). Certes, le fait que lui aussi ait certainement connu la discrimination y est sans doute pour quelque chose. Mais cela n’enlève rien au propos profond du film : on peut surmonter ses préjugés, pour autant que nous prenions le temps d’approfondir nos connaissances sur le sujet et de nous y intéresser un tant soi peu. La peur est un sentiment humain naturel, mais au lieu d’y céder, nous ferions mieux de nous interroger sur son origine, afin de la comprendre et de la dépasser.
Le film a beau avoir 27 ans, il en reste toujours actuel. Porté par les deux fantastiques acteurs que sont Tom Hanks et Denzel Washington, ainsi que par la musique de Bruce Springsteen, il rend hommage à la mentalité de la ville de Philadelphie. Celle-ci n’a dont pas été choisie par hasard : William Penn, son fondateur, souhaitait montrer un exemple de tolérance aux autres nations. Philadelphia, c’est un classique à voir et à revoir, tant les réflexions qu’il apporte sont nombreuses et pertinentes.
Fabien Imhof
Référence :
Jonathan Demme, Philadelphia, États-Unis, 1993.
Photo : http://indeflagration.fr/film/springsteenphiladelphia/
[1] Cela a mené, en Suisse aussi, à des crimes homophobes extrêmes : http://lapepinieregeneve.ch/emancipation-de-la-jeunesse-vue-par-highsmith-et-bisang/