Quand Italo Calvino rencontre l’UMA
Avec Archipel, l’Urban Move Academy (UMA) se pose comme une véritable troupe. Après le succès de Ollie, elle pousse le spectacle scénique encore plus loin. C’était à voir à la salle du Lignon les 20 et 21 septembre.
En préambule de la représentation, Nicolas Musin, chorégraphe d’Archipel, présente ce dernier au public comme la grande sœur de Ollie. Dans ce premier spectacle, les jeunes sur scène narraient leur quête d’une place différente de celle qu’on a tendance à leur assigner. Cette fois-ci, c’est comme si iels avaient franchi un cap supplémentaire. La structure du spectacle est similaire, mais on retrouve une forme de maturité en plus. Pour illustrer leur histoire, iels s’appuient cette fois sur des extraits de Villes invisibles d’Italo Calvino. Dans ce texte, l’auteur donne la parole à Marco Polo, qui narre 50 villes inventées à Kublai Khan, dans une forme d’utopie dont s’empare l’UMA. Cet Archipel qui les regroupe se présente comme un refuge, un havre de paix pour leurs jeunes âmes en quête d’espoir. Le tout est agrémenté par des chorégraphies aux influences urbaines, du parkour, du skate, et même de la trottinette, sur une musique originale composée par Sébastien Trouvé.
Un récit à plusieurs voix
Contrairement à Ollie, qui ne présentait qu’une narratrice éponyme, le récit est cette fois-ci porté à plusieurs voix. On retrouve d’abord quelques-un·e·s des artistes de la troupe muni·e·s d’un micro, pour déclamer leurs paroles au milieu des bruits de roulements de leurs collègues. Puis d’autres voix se joignent à elles et eux, jusqu’au chorus final. C’est comme si le message qu’iels avaient à transmettre avait quelque chose de plus collectif, voire d’universel. Pour autant, il ne perd rien de sa dimension personnelle, et chacun·e s’identifie plus ou moins à l’un ou l’autre des passages du texte d’Italo Calvino. Car, contrairement à Ollie, où les mots provenaient de plusieurs auteurs et d’interviews, cette fois-ci, ils sont bien le fruit d’une seule et même voix, celle de Marco Polo à qui l’auteur italien prête ses mots.
Dans cette histoire, les villes sont regroupées par thématiques, dont certaines sont fortes de symboles avant le passage à l’âge adulte. On pense par exemple aux thèmes suivants : les villes et la mémoire, les villes et le désir, les villes et les échanges, les villes et le regard, les villes et le nom, les villes et le ciel… Toute la dimension utopique des récits de Marco Polo nous ramène alors aux rêves de ces jeunes artistes, en passe de devenir des adultes. On imagine leur quête de soi, d’un monde meilleur, mais aussi d’une vi(ll)e calme et sereine où iels pourraient évoluer de manière apaisée, en étant véritablement elles-mêmes et eux-mêmes.
Force, souplesse, douceur et sensibilité
Tout le spectacle est marqué par les bruits des roulements des différents engins, mais aussi par les corps qui claquent sur le sol, lorsque les artistes atterrissent après des sauts, ou chutent lourdement sur les modules qui constituent le décor d’Archipel. Ces sons, forts et marqués, semblent d’abord contraster avec la douceur des mots et de la musique. Mais le rapport est bien plus complexe que de prime abord. La démonstration de force, de puissance et de souplesse s’avère tout à faire complémentaires à la sensibilité exprimée dans les mots. Si bien que tout finit par s’entremêler.
L’Archipel constitué des villes invisibles et imaginaires narrées sur la scène rassemble ainsi les images dures de la réalité dans laquelle iels ont grandi jusqu’ici, et l’utopie d’un monde meilleur, plus doux. La violence du quotidien et la douceur du rêve paraissent alors totalement indissociables. C’est aussi ce que nous raconte Archipel : cette volonté de faire corps ensemble. L’idée est bien sûr sous-entendue par le titre du spectacle, mais elle se retranscrit également par la manière dont tout est imaginé sur la scène. On ne retrouve jamais un·e artiste seul·e sur la scène. Plusieurs chorégraphies se font en collectif, à deux, à quatre, voire plus. Les mouvements s’assemblent, en miroir, en symétrie ou en parfaite synchronie. Les artistes se suivent, se croisent, se retrouvent. Comme pour dire que c’est ainsi qu’iels souhaitent évoluer : en collectif. Et que les villes utopiques qu’iels nous narrent ne sont peut-être pas si invisibles et inatteignables qu’elles n’y paraissent.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Archipel, par la troupe UMA, les 20 et 21 septembre 2024 à la salle du Lignon, dans le cadre de la saison culturelle de Vernier.
Chorégraphie théâtrale : Nicolas Musin
Avec Adrianna Fimeyer, Ayumi Kato, Charlyne Pilat, Luna Traullé, Matylda Pioro, Merit Laengner, Naomi Rocher, Norine Botella, Baptiste Bordier, Kevin Bringolf, Giuseppe Conte, Swan Ducrot-Lelong, Hugo Flé, Liam Litardo, Noé Lüthi, Florian Maillet De Viti et Tiago Tomaz.
https://www.vernier.ch/evenements/archipel-7212465
Photos : ©Zoe Salvalai