Quand le théâtre se joue aussi dans les arbres
Du 9 au 18 mai, Mathias Brossard et le collectif CCC adaptent librement le célèbre roman d’Italo Calvino, Le Baron perché. Programmé par le Théâtre Am Stram Gram et la Comédie de Genève, Perchée aura la particularité de se jouer en extérieur, dans le magnifique cadre du Parc de la Mairie de Vandœuvres.
Lorsque j’arrive dans le Parc de la Mairie de Vandoeuvres, ma première réflexion est que le spectacle porte bien son nom. Et pour cause, Magali Heu et Lara Khattabi sont perchées dans un grand cèdre, la première dans une nacelle, la seconde directement sur une branche. Alors qu’elles répètent une scène, Mathias Brossard, qui signe la mise en scène du spectacle, donne quelques indications, échange avec les nombreux·ses membres de la troupe (au total, une vingtaine de personnes sont impliquées), pendant que Piera Bellato, qui l’assiste, note plein de choses dans son petit carnet. Si l’équipe est aussi nombreuse, c’est que ce spectacle a la particularité de pouvoir être joué, en alternance, par trois équipes de quatre comédien·ne·s.
La force du collectif
Il faut dire que le collectif CCC est coutumier du fait de travailler avec de grosses distributions, comme c’était déjà le cas pour ses précédents spectacles – comme Platonov, joué en forêt, ou Les Rigoles, qui prenait place dans un environnement plus urbain. Avec Perchée, il s’agira du premier projet tout public du collectif, à l’invitation du Théâtre Am Stram Gram. Les membres de CCC se connaissent depuis longtemps déjà ; ils et elles se sont rencontré·e·s lors de leurs études à la Manufacture. Le premier projet de Loïc Le Manac’h et Margot Van Hove, autour de Boulgakov et de la thématique de la nuit, se jouait à minuit, sur le parking de l’école. Cette expérience forte leur a permis de découvrir de nouveaux possibles, aux niveaux des entrées de champ, de la profondeur, mais aussi du plaisir d’être en extérieur, des bruits ambiants, et surtout de ce frottement avec le réel. C’est après cela que Mathias Brossard a lancé son Platonov et que, depuis, toutes ses mises en scène se font dehors.
Avec une équipe aussi nombreuse, les répétitions prennent forcément un peu plus de temps, mais cette forme de création collective apporte aussi de nombreux avantages. Alors que chaque rôle est porté en alternance par plusieurs comédien·ne·s, chacun·e crée son/ses personnage·s à sa manière, sans faire un copier/coller, amenant une certaine puissance créatrice, tout en expérimentant le collectif différemment de ce qu’on a l’habitude de faire. Le fait de pouvoir voir son personnage de l’extérieur, en direct, est également très riche. Sans compter que cela permet également une grande souplesse si le spectacle doit tourner par la suite, chaque rôle pouvant être porté par trois comédien·ne·s différent·e·s.
Dans le respect de la nature
Durant la répétition, les discussions fusent de tous les côtés, entre acteur·ice·s, avec Mathias et Piera, ou encore avec la technique, qu’il s’agisse du créateur musical Alexandre Ménéxiadis ou du régisseur Achille Dubau. Ce dernier a été formé par Xavier Dejoux, éducateur de grimpe d’arbres (EGA), qui accompagne l’équipe sur ce spectacle. Il a ainsi pu les conseiller sur des questions de sécurité dans les arbres, les acteur·ice·s n’étant pas circassien·ne·s. La santé des arbres s’avère également très importante, afin de ne pas jouer dans un arbre qui serait malade, mais aussi pour ne pas blesser celui qui serait choisi. Grâce à lui, le collectif a pu imaginer différentes potentialités, voir ce qu’il était possible de faire, tout en respectant l’environnement dans lequel le spectacle prend place.
Durant la répétition, les scènes sont reprises, rejouées, en modifiant quelques détails selon les propositions de placement, de phrasé ou de gestuelle. L’absence de tout élément électrique, et donc de micro ou de lumière, contraint également les comédien·ne·s à se montrer inventif·ve·s et réactif·ve·s face aux éléments naturels qui peuvent venir perturber la représentation, qu’il s’agisse d’un bruit ou du passage d’un chien sur le chemin, par exemple. L’idée, en jouant dans un arbre, est aussi de laisser le moins de traces possibles du passage de la troupe, si ce n’est dans l’imaginaire des spectateur·ice·s. D’où le fait que tout se joue à la lumière du jour et en acoustique. Une manière de faire qui va d’ailleurs avec le propos du spectacle.
Une adaptation libre
Nous l’évoquions un peu plus haut, l’extérieur a donc précédé la création du projet, pour lequel il a fallu trouver une œuvre à adapter. Dans toutes ses créations, Mathias Brossard part d’un texte, qu’il aime faire frotter avec le réel. Le Baron perché d’Italo Calvino semblait donc tout trouvé, faisant écho à certains militantismes d’aujourd’hui. Les notions d’environnement et de protestation résonnent en tout cas fortement avec notre époque contemporaine. En la racontant avec un nouveau regard, cela permet de faire résonner les questions écologiques actuelles avec un autre point de vue.
Au plateau, si on peut toujours l’appeler ainsi, les quatre comédien·ne·s sont tour à tour narrateur·ice·s et personnages, racontant l’histoire dans une forme de métathéâtre où ils et elles se mettent en scène et jouent, avec une certaine forme de naïveté. Se pose alors une question centrale : pourquoi le personnage principal, Cosimo, est ici une Cosima ? Mathias Brossard m’explique que c’était une volonté dès le départ de s’éloigner de certains clichés qui veulent que les garçons soient plus téméraires et grimpent aux arbres, pendant que les filles restent en bas et n’osent pas en faire de même. Le but est de faire avancer ces idées, de montrer aux enfants que les filles non plus n’ont pas peur et peuvent grimper aussi bien que les garçons. Une manière de construire d’autres imaginaires et de donner aux jeunes filles une nouvelle héroïne à laquelle s’identifier. À l’exception de Cosima, toujours interprétée par une comédienne, tous les autres personnages ont d’ailleurs été dégenrés, portés indifféremment par un comédien ou une comédienne.
Pour découvrir cette adaptation très libre, adressée aux petit·e·s comme aux grand·e·s, rendez-vous donc dans le Parc de la Mairie de Vandoeuvres dès le 9 mai. D’autres représentations auront également lieu dans la Forêt du Théâtre Vidy-Lausanne, les 2-3 mai, puis du 4 au 7 juin, ou encore le 28 juin aux Scènes croisées de Lozère, et du 29 septembre au 4 octobre à Château-Rouge, à Annemasse.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Perchée, du collectif CCC, d’après Le Baron perché d’Italo Calvino, les 2-3 mai, puis du 4 au 7 juin 2025 au Théâtre Vidy-Lausanne, du 9 au 18 mai 2025 dans le Parc de la Mairie de Vandoeuvres (avec le Théâtre Am Stram Gram), le 28 juin 2025 aux Scènes croisées de Lozère, et du 30 septembre au 3 octobre 2025 à Château-Rouge.
Mise en scène : Mathias Brossard
Avec quatre interprètes (en alternance) : Diane Albasini, Alenka Chenuz, Cécile Goussard, Magali Heu, Arnaud Huguenin, Jean-Louis Johannides, Lara Khattabi, Jonas Lambelet, Loïc Le Manac’h, Chloë Lombard, Mélina Martin, Margot Van Hove
Création musicale : Alexandre Ménéxiadis
Création costumes : Marie Romanens
Apports scénographiques et constructions : Mathilde Aubineau
Illustrations et conception du fanzine : Alice Barbosa
Assistanat et dramaturgie : Piera Bellato
Régie générale et logistique : Achille Dubau
Référent technique escalade dans les arbres : Xavier Dejoux
Administration : Marianne Aguado – ISKANDAR
https://lafilialefantome.com/spectacles/perch%C3%A9e/
https://www.amstramgram.ch/fr/programme/perchee
Photos : ©Arya Dil