Quel avenir veut-on pour le Rhône ?
À l’heure où les futurs envisageables ne sont pas forcément les plus lumineux, le collectif RGB Project nous projette en 2112, après la Guerre de l’eau, pour imaginer ce qu’il pourrait advenir de nos régions. Les Enfants du Rhône, c’est à voir aux Scènes du Grütli jusqu’au 8 février.
Bienvenue au « Terrâtre » du Grütli, un de ces endroits devenus lieux de cérémonie depuis que la communauté du Rhône a été fondée. Nous sommes réuni·e·s pour rendre hommage à Mère-mère, la dernière des ancêtres nées à la fin du XXe siècle et décédée un an plus tôt. Dans la salle, un monticule de terre – celui qu’est devenue Mère-mère suite au processus d’humusation – trône au centre, en-dessous de la dernière essence de bouleau, symbole de la communauté, attachée en l’air par des câbles. Autour, trois sortes de pontons en bois conduisent aux trois gradins, dans lesquels chacun des bras prendra place. Car, avant d’entrer dans le Terrâtre, il faut choisir quel bras nous rejoindrons : l’eau, la forêt ou la montagne. Un·e représentant·e nous accueille, expliquant pourquoi on est là, répondant aux questions que nous pouvons avoir sur notre groupe, avant d’entrer pour le dernier hommage à Mère-mère. Seulement, la cérémonie ne se déroule pas tout à fait comme prévu : chacun·e a des choses à dire, les langues se délient, des conflits éclatent, et l’avenir de la communauté pourrait bien en être bouleversé, malgré les tentatives du maître de cérémonie (Cyprien Rausis) pour apaiser les choses…
Quel futur imaginer ?
Les trois bras, associés aux cités-libres qui entourent le Rhône, forment donc la communauté du Rhône. Pour cette cérémonie, les trois bras fondateurs sont présents, eux qui vivent en bonne harmonie et contribuent à la réhabilitation du fleuve. Grâce à eux, la dépollution est en cours, ils font tout pour que le Rhône retrouve son parcours naturel et grandisse à nouveau, tout en protégeant les espèces vivant qui le côtoient. Pourtant, certains dégâts sont irrémédiables : assèchement de certains affluents, disparition d’espèces… Pourtant, les trois bras ne sont pas forcément d’accord sur les moyens. Le bras de l’eau, composé d’une cinquantaine de membres, tente de préserver la biodiversité en agissant directement sur le cours d’eau ; le bras de la forêt, de loin le plus nombreux, veut faire avancer les choses à l’aide de sa technologie biohybride, mêlant champignons et ordinateurs ; tandis que le bras de la montagne agit à la source pour refaire grandir le fleuve.
C’est là que la dimension interactive du spectacle prend tout son sens : les spectateur·ice·s, devenu·e·s membre de la communauté le temps d’un soir, peuvent influencer le cours du spectacle, notamment au moment de l’Exutoire, cette série de jeux permettant de régler les conflits, ou même en choisissant un camp dès le départ. C’est ce qui fait que Les Enfants du Rhône est un spectacle différent chaque soir. Selon les interventions et les choix, il peut prendre une dimension plus ou moins drôle ou tragique, et l’on se sent véritablement impliqué·e dans ce processus. Sans oublier, bien sûr, toute la réflexion sous-jacente au spectacle, que ce soit sur notre avenir ou tout simplement sur la manière de faire théâtre. Car, en-dehors de l’impro, rares sont les spectacles où nous pouvons agir sur l’évolution de la trame, interagir avec les comédien·ne·s et se sentir comme faisant complètement partie du show. Ici, pas de quatrième mur, donc.
Réfléchir plus largement
Une pensée nous vient alors à l’esprit : on a souvent tendance à dire qu’on – et ce « on » est très général, englobant à la fois les médias, l’opinion publique, et les individus – n’est touché par les guerres, conflits et autres problèmes du monde, que lorsque ceux-ci nous concernent directement et personnellement. Tant que tout se passe loin de nous, on a tendance à s’en détacher. C’est là toute l’intelligence des Enfants du Rhône : en ancrant le propos dans nos régions et un univers connu, pour nous confronter à une potentielle réalité, un futur possible, le texte d’Ed Wige nous place face à cette question fondamentale : que faire aujourd’hui pour que le futur que l’on souhaite se réalise ?
Dans Les Enfants du Rhône, chaque bras représente une vision possible – les trois ne sont d’ailleurs pas incompatibles et se complètement, malgré les tensions qui éclatent. Le caractère de chacun·e des représentant·e·s en semble d’ailleurs emblématique. Chacun·e a d’ailleurs été imaginé·e par l’acteur·ice qui l’incarne, comme nous vous l’expliquions à l’occasion du reportage en préambule de ce spectacle. Djemi Pittet, qui joue le représentant de l’eau, s’oppose à l’hommage, arguant que nous ne retenons que le positif de Mère-mère, qui symbolise pourtant aussi tous les méfaits de l’ancienne génération, entre pollution et dégâts irréversibles, que l’on a tendance à oublier. Campant sur ses positions, il est aussi celui qui affirme ses opinions, affiche ses convictions et va jusqu’au bout de sa pensée pour l’exprimer. Lisa Courvallet, incarnant la représentante de la forêt, avec son mélange de langues et ses avancées technologico-biologiques, lui reproche de au contraire de ne pas voir tous les bienfaits qu’a apportés Mère-mère. C’est grâce à elle que les avancées ont pu se faire. Alors oui, elle a ses défauts, mais il faut aller de l’avant et s’appuyer sur le positif selon elle. Deux positions qui semblent peu compatibles. C’est là qu’entre en jeu Estelle Bridet, qui joue la représentante de la montagne, et qui semble, à l’image de son bras, être la force tranquille, celle qui tente d’apaiser les conflits, en prenant du recul, de sa position reculée. C’est d’ailleurs elle qui recentrera la discussion sur l’essentiel, alors que les conflits virent au règlement de compte personnel…
Au final, on peut se dire que chaque opinion se vaut, il faut avant tout voir avec laquelle on est le plus en accord, pour faire son choix. Et pour ce faire, la discussion initiale, avant d’entrer dans le Terrâtre, ainsi que les différentes confrontations nous permettent, nous aussi d’imaginer l’avenir comme on le souhaiterait…
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Les Enfants du Rhône, par le RGB Project, du 9 au 19 janvier au Théâtre Les Halles de Sierre, puis du 24 janvier au 8 février aux Scènes du Grütli.
Conception et production : RGB Project
Mise en scène : Christophe Burgess
Ecriture : Ed Wige
Avec Estelle Bridet, Lisa Courvallet, Cyprien Rausis, Djemi Pittet
Costumes : Ana Carina Romero Astorga
Scénographie : Lucie Meyer
Musique et sound design : Djamel Cencio
Consultant IA : Michael Diatta
Game Design : Alain Borek
Production : Emilien Rossier, Michael Goodchild
Diffusion :Emilien Rossier, oh la la – performing arts production
Coproduction : Les Scènes du Grütli, Les Halles Sierre, Kleintheater Luzern
Partenaires de recherche : Kleintheater Luzern, Paulina Zybinkska, ZHDK, Dario Lanfranconi, Hochschule Luzern, Lonneke Van Der Plas, Daniel Carron (IDIAP)
Soutiens : Théâtre Pro, canton du Valais, Cineforom
Remerciements : Izabela Pluta (UNIL), Luc Schuiten, Hervé Bourlard (IDIAP), Palp Festival
https://www.theatre-leshalles.ch/spectacles/les-enfants-du-rhone—rgb-project
https://grutli.ch/spectacle/les-enfants-du-rhone
Photos : ©Magali Dougados